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MATÉRIAUX

N'importe quelle production suppose à la fois un support (ce avec quoi elle a été façonnée) et un projet ou une idée qui a présidé à sa fabrication. Elle unit la « matière » et la « forme » : la philosophie grecque n'a pas manqué de s'inspirer de cette évidente symbiose. La Métaphysique d' Aristote le souligne nettement. Il convient d'éviter la dissociation, c'est-à-dire la pensée que « l'être de la chose » descend seulement en elle. « La matière prochaine et la forme sont une seule et même chose, mais en puissance, d'un côté, en acte, de l'autre. Demander par conséquent comment elles s'unifient revient à rechercher quelle est la cause de l'unité et pourquoi ce qui est un est un » (Métaphysique, H, 6, trad. Tricot, éd. Vrin, p. 478). L'idée n'en joue pas moins le rôle de cause actualisante, efficiente et finale : le déterminable compte de moins en moins, en comparaison du déterminant. La matière (le bois, l'airain) ne peut se prévaloir ni de l'« unicité » ni d'une vraie particularité : elle demeure moyen, puissance, parce qu'elle « vise » ou attend la « forme ». Elle appelle alors ce qui la comblera : « La forme ne peut se désirer elle-même parce qu'il n'y a pas de manque en elle » (Physique, I, 192 a). Tout doit aussi être nuancé : en effet, le métal, pour le forgeron, résulte d'un travail qui le finit et lui donne une « nature », voire une configuration – en somme, il est un composé de matière et de forme –, tandis que le fondeur qui le coulera le traitera comme un simple matériau. En tout état de cause, les penseurs grecs dépréciaient le « ce avec quoi » : le même objet ne se réalise-t-il pas à l'aide de substrats différents, donc, relatifs (la statue de bois ou de pierre) ? L'important réside donc dans l'idée, seule efficiente et décisive. De plus, les Grecs privilégiaient l'ordre, le commandement, le gouvernement : ils s'inquiétaient moins des manipulations ou du travail, qu'ils réservaient aux esclaves, d'où la passivité, la pauvreté et l'inessentialité tant de l'« effectuation » que de ce en quoi l'œuvre s'inscrivait, et qui était nécessaire mais secondaire.

Les Grecs et le matériau selon Hegel

Il nous semble que la pensée et l'importance du matériau ne datent que d'hier ou d'aujourd'hui. Longtemps, on a demandé à la nature de nous approvisionner en moyens de construire ou de fabriquer : la terre (pour les briques), les fils (la vannerie, le tissage) et le bois, qui précède les métaux. Ce dernier mérite une place à part, ne serait-ce que pour une raison étymologique : il permet de comprendre les mots « matériau » et « matière », inséparables de la « mère ». Les termes – materia, materies, materiarius – de la langue latine rustique qualifient le bois de substance maternelle, parce que le tronc de l'arbre, dont on coupe les branches, ne cesse pas de produire des rejetons. On épargne souvent le fût principal (les silvae materiariae), à moins qu'on ne cherche un bois de construction (maison, navire) ; pour le reste, on se contente des silvae caducae, des taillis.

Alfred Ernout et Antoine Meillet, dans leur Dictionnaire étymologique de la langue latine. Histoire des mots, précisent bien ce passage : materia, le matériau privilégié, indique la partie solide ligneuse, la partie génératrice, bien différente de l'écorce et des feuilles. Elle aussi se renouvelle. Ce substantif a fini par désigner tous les « substrats ». Materia équivaut au grec ὕλε (bois, matière), qui signifie « matière », « origine », « cause », « sujet ». Bref, le bois-matériau possède à la fois le sens de « substance » et de « ce qui engendre » (la maternité).

On ne sera[...]

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Pour citer cet article

François DAGOGNET. MATÉRIAUX [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • MATIÈRE ET MATÉRIAUX. DE QUOI EST FAIT LE MONDE ? (dir. É. Guyon)

    • Écrit par Bernard PIRE
    • 914 mots

    À partir du moment où la matière est destinée à une utilisation précise, on parle de matériaux. Mais comment raconter cette matière qui sous des aspects si divers accompagne le quotidien de chacun d'entre nous, pour s'alimenter, se loger ou s'habiller, mais aussi aller à la rencontre des autres...

  • ACIER - Technologie

    • Écrit par Louis COLOMBIER, Gérard FESSIER, Guy HENRY, Joëlle PONTET
    • 14 176 mots
    • 10 médias

    L'acier est un alliage de fer et de carbone renfermant au maximum 2 p. 100 de ce dernier élément. Il peut contenir de petites quantités d'autres éléments incorporés, volontairement ou non, au cours de son élaboration. On peut également y ajouter des quantités plus importantes d'éléments d'alliage...

  • ALLIAGES

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    • 7 362 mots
    • 5 médias

    Les alliages représentent une illustration matérielle du vieux dicton « l'union fait la force ». L'homme a toujours cherché des matériaux plus performants à l'utilisation, plus faciles à fabriquer ou à mettre en œuvre et plus économiques. Les alliages métalliques sont particulièrement...

  • AMIANTE ou ASBESTE

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    Aprèstransformation industrielle, l'amiante revêt de remarquables propriétés physiques et chimiques : résistance à la chaleur (plus de 1 000 0C, selon les variétés), à la traction et aux produits chimiques, notamment corrosifs. Près de trois mille produits contenant de l'amiante sont...
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    Les matériaux utilisés pour la construction des avions sont choisis pour allier une bonne résistance à une grande légèreté. Dans les années 1920 à 1940, les alliages d'aluminium ont remplacé peu à peu le bois et la toile. Ils associent légèreté, facilité d'usinage, résistance à la...
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