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RÉALITÉ

Le mot « réalité » désigne ce qui existe effectivement : une réalité, c'est une chose qui est, la réalité, c'est l'ensemble des choses qui sont. Or la notion d'être, ou d'existence (en ce qui concerne les choses, ces deux termes ne sont pas à distinguer), est une des notions fondamentales et premières de l'esprit : elle suppose une sorte d'expérience irréductible à toute autre, et donc inanalysable en éléments plus simples. C'est pourquoi Descartes la range parmi « les notions qui sont d'elles-mêmes si claires qu'on les obscurcit en les voulant définir », et refuse de croire que, parmi ses lecteurs, « il s'en rencontre de si stupides qu'ils ne puissent entendre d'eux-mêmes » ce que le terme d'être, ou d'existence, signifie (Principes, I, x). En dépit des apparences, Spinoza ne dit pas autre chose quand il définit la substance, à savoir la chose qui est : « J'entends par substance, écrit-il, ce qui est en soi et est conçu par soi, c'est-à-dire ce dont le concept n'a pas besoin du concept d'une autre chose duquel il doive être formé » (Éthique, I, définition 3). Si donc la notion de réalité renvoie à celles d'être, d'existence ou de substance, il faut avouer que, présente à toute pensée, supposée par toute pensée, elle demeure, selon la rigueur, indéfinissable.

Il est pourtant utile de préciser le sens du terme réalité en l'opposant à d'autres termes : ceux de néant, de possible, d'imaginaire, d'illusoire, d'idéal. Chacune de ces oppositions semble permettre de cerner un contenu dont la présence en nous, ou, si l'on préfère, l'obscur et tenace sentiment, est le plus puissant des ressorts qui animent toute pensée soucieuse d'objectivité ou de vérité. Il faut ne pas croire à ce qui n'est pas, ne pas confondre ce qui pourrait exister avec ce qui existe effectivement. L'imaginaire n'est pas le réel, l'illusoire comporte l'erreur, l'idéal, s'il n'est pas pure chimère, n'est en tout cas point encore réalisé. Et, en science comme en philosophie, les hypothèses succèdent aux hypothèses, et les systèmes aux systèmes, parce que les explications d'abord proposées semblent bientôt mal répondre à la réalité, n'en offrir qu'une expression insuffisante ou inexacte.

Au reste, il importe de ne pas confondre la question : qu'est-ce qui, en vérité, est réel ? et la question : qu'entendons-nous par réalité ? La réponse à la première de ces questions demanderait l'énoncé de l'ensemble des connaissances philosophiques ou scientifiques : elle coïnciderait avec la totalité du savoir humain. La seconde question nous occupera seule ici. Il s'agit de préciser ce que l'on entend par le mot de réalité. Est-ce ce que Kant appelle la chose en soi ? La réalité consiste-t-elle dans le caractère lié de l'expérience physique ? Est-elle ce que Maurice Merleau-Ponty appelle « le monde », réservoir inépuisable dont les choses sont tirées ? Il nous faut interroger notre propre conscience pour découvrir ce que nous avons effectivement dans l'esprit lorsque nous prononçons le mot de réalité.

Du donné à la vérité

La réalité, le donné et le subi

En un premier sens, le réel, c'est le donné, c'est le contenu même de notre expérience. Aussi certains philosophes ont-ils tendance à chercher le réel dans l'immédiat. Comment, en effet, ne pas tenir pour réel ce qui n'est en rien construit, imaginé ou feint, ce qui est simplement, mais incontestablement, présenté ? Nul ne saurait douter que l'immédiat n'ait, comme tel, une certaine réalité : on peut discuter sans doute pour savoir si cette réalité est celle d'un objet ou d'un sujet, d'une chose ou d'un[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire à l'université de Paris-Sorbonne, membre de l'Institut (Académie des sciences morales et politiques)

Classification

Pour citer cet article

Ferdinand ALQUIÉ. RÉALITÉ [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ADORNO THEODOR WIESENGRUND (1903-1969)

    • Écrit par Miguel ABENSOUR
    • 7 899 mots
    • 1 média
    ...convient-il d'entendre par liquidation ? D'abord l'inadéquation entre les questions philosophiques et la possibilité de leurs réponses qui provient de la non-correspondance entre l'esprit et le réel. La fameuse formule hégélienne, « le réel est le rationnel » et inversement, n'est plus de saison. Car...
  • ATOMISME

    • Écrit par Jean GREISCH
    • 1 366 mots
    • 4 médias
    Avec l'émergence du mécanisme dans le premier tiers du xviie siècle, la conception corpusculaire de laréalité, héritée de l'atomisme antique, va trouver une nouvelle actualité scientifique. Sous-jacente aux apparences sensibles, la réalité physique se présente comme une série variable de combinaisons...
  • BERGSON HENRI (1859-1941)

    • Écrit par Camille PERNOT
    • 8 128 mots
    • 1 média
    ...d'abord, elle privilégie dans le réel ce qu'il peut comporter de régularité et de stabilité et, au besoin, y introduit par artifice l'une et l'autre. Ensuite, elle procède par analyse, en résolvant la réalité qu'elle étudie en éléments distincts et fixes dont chacun est déterminé par référence à une...
  • BRADLEY FRANCIS HERBERT (1846-1924)

    • Écrit par Jean WAHL
    • 3 615 mots
    Les mêmes idées qui ont été exposées dans Appearance and Reality se retrouvent dans le second grand livre de Bradley, qui est un recueil d'essais sur la vérité et la réalité. Nous assistons à une sorte de va-et-vient entre un absolu relativisme et un absolutisme non moins absolu. Le plaisir,...
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Voir aussi