PSYCHOLOGIE SOCIALE
Psychologie sociale : perspectives européennes
Marquée dès ses origines par des développements conceptuels et empiriques issus d’universités et institutions de recherche situées aux États-Unis (qui bénéficièrent de la contribution d’éminents émigrés d’Europe ayant dû fuir le nazisme, comme Kurt Lewin ou Fritz Heider), la psychologie sociale comporte des courants européens très actifs, avec un intérêt distinct pour l’analyse du discours et l’usage de méthodologies qualitatives, et des contributions majeures dans l’étude des relations intergroupes et de l’identité sociale. À l’université de Bristol, Henri Tajfel a notamment développé une approche motivationnelle et cognitive des biais conduisant au favoritisme des groupes d’appartenance et qui mettait en lumière le fait que les conflits collectifs sont irréductibles à des intérêts matériels. Ainsi, l’assignation arbitraire d’individus dans des catégories minimales suffit à déclencher des conduites de différenciation. Dans ces développements, l’ identité sociale devient une composante déterminante des interactions entre les groupes et est définie comme la « partie du concept de soi des individus qui provient de leur connaissance de leur appartenance à un groupe social, associée à la valeur et à la signification émotive de cette appartenance ». Une autre contribution européenne a posé les jalons de l’étude des influences minoritaires, intégrant les processus d’influence minoritaire et majoritaire à travers la théorie de la conversion de Serge Moscovici. Selon cette théorie, contrairement à l’influence majoritaire, génératrice d’une conformité de façade et à l’origine d’un traitement cognitif superficiel des informations en présence, l’influence minoritaire favoriserait une analyse cognitive plus approfondie et, en dépit d’un rejet public de la position de la minorité, celle-ci serait potentiellement endossée en privé, faisant l’objet d’une influence latente. L’étude des mécanismes d’influence des minorités reste un sujet très fécond dans la recherche européenne. Serge Moscovici a également initié un autre courant très influent en Europe et consacré à l’étude des représentations collectives. Renouvelant des idées développées par Émile Durkheim (1898), il posait les jalons de l’étude des représentations sociales et des processus qui la caractérisent comme l’ objectivation (la transformation d’une idée abstraite ou d’un concept en représentation iconique) et l’ancrage (l’inscription de l’objet de représentation dans un réseau de connaissances qui lui préexistent et sont socialement reconnues). L’un des lieux de différenciation entre les approches européenne et nord-américaine se situe dans le registre explicatif qu’elles privilégient. Selon le modèle forgé par Willem Doise, les modélisations théoriques en psychologie sociale peuvent s’organiser en quatre niveaux : le niveau intra-individuel, qui porte sur les mécanismes impliqués dans les opérations de perception et d’évaluation de l’environnement social par l’individu ; le niveau interindividuel et situationnel, qui se réfère aux processus interpersonnels situés ; le niveau socio-positionnel, qui inclut les différences de position sociale qui transcendent les situations singulières, comme l’appartenance des individus à des catégories sociales ; et le niveau idéologique qui regroupe les systèmes de croyances, de représentations, d’évaluations et de normes dont l’individu est le porteur. L’application de ce modèle met en exergue la prédominance des premier et deuxième niveaux explicatifs au sein des traditions de recherche ayant marqué les évolutions de la discipline tant en Europe qu’aux États-Unis. Il montre aussi une inclination des Européens à mobiliser davantage dans les théories et les recherches les troisième et quatrième niveaux. Pour prendre l’exemple de l’étude des croyances religieuses, tandis que la recherche européenne[...]
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Écrit par
- Laurent BÈGUE : professeur de psychologie sociale, directeur de la Maison des sciences de l'homme-Alpes, Gières
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