PHILOSOPHIE
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La philosophie française contemporaine
Les recherches et débats philosophiques, tant universitaires que médiatiques, semblent marqués, depuis les années 1980, par une nouvelle vitalité, due à une confiance retrouvée en la spécificité de la discipline, qui contraste avec son assujettissement aux problèmes et discours des sciences humaines durant les années 1960 (structuralisme de R. Barthes, de C. Lévi-Strauss, de J. Lacan...). Certes, l'activité philosophique en France (si l'on met à part le travail, rigoureux et inventif, de plusieurs générations d'historiens de la philosophie − F. Alquié, M. Guéroult, H. Gouhier, Y. Belaval... −, dont ce n'est pas le lieu de préciser les méthodes et les acquis) reste largement tributaire de la centralisation de la vie intellectuelle à Paris (du fait, entre autres, de la taille de ses institutions d'enseignement et de la concentration des rares maisons d'édition spécialisées en ce domaine), de l'influence de réseaux de revues et de groupes de pensée, liés à des institutions bien françaises (Écoles normales supérieures, Collège international de philosophie), du rôle sélectif et normatif, toujours privilégié, joué par le concours de l'agrégation dans la formation des universitaires.
Tous ces facteurs culturels peuvent expliquer, en partie, un style de pensée qui privilégie souvent la rhétorique brillante, s'adonne aux conflits de chapelle, témoigne d'une indifférence chronique aux problèmes concrets posés par les sciences ou par la société et se complaît parfois dans un vedettariat médiatique. Plus profondément, la philosophie française semble condamnée à un paradoxe chronique : d'un côté, elle reste fascinée par la philosophie allemande moderne (Nietzsche, Freud, Husserl, Heidegger), qui, depuis l'existentialisme de Sartre, a inspiré des lexiques et des problématiques, au point de faire tomber dans l'oubli la tradition française antérieure (Renouvier, Hamelin, Lagneau, Lequier, Lavelle, Alain, et même parfois Bergson) ; de l'autre, il est frappant de constater à quel point elle a longtemps négligé des objets ou des orientations philosophiques, qui ont pourtant été au centre de riches développements à l'étranger (Allemagne, Italie, Grande-Bretagne, États-Unis) : problèmes de la vie, de la culture, de l'histoire, approches analytiques et pragmatiques du langage, philosophie de la technique et des technobiologies, philosophie de la religion, etc.
Malgré ces tendances « nationales », la philosophie française n'en a pas moins adopté des orientations et des thématiques qui, à bien des égards, caractérisent, au même moment, toute la philosophie européenne en cette fin de siècle. Abandonnant la théorisation dogmatique suscitée dans les années 1950-1960 par les systèmes positivistes ou scientistes (marxisme, freudisme, linguistique structurale), les philosophes, quelque peu désillusionnés, ont surtout exploré les voies du relativisme, du pluralisme, du subjectivisme, autant de caractéristiques propres à un langage et à une rationalité post-totalitaires. Prenant le parti, comme Friedrich Nietzsche et Martin Heidegger, du déclin de la métaphysique occidentale, suspectée de n'être qu'une onto-théologie, la philosophie contemporaine développe, sur fond d'une réhabilitation de l'immanence et du sensible, une « pensée faible », caractérisée par un perspectivisme, un phénoménisme et un esthétisme. Parallèlement, sur le plan des idées politiques, la prise de conscience tardive, par les « nouveaux philosophes » français, de l'échec et du mensonge inhérents à l'idéologie marxiste et aux régimes politiques qui s'en sont inspiré, surtout depuis le bannissement d'U.R.S.S. de l'écrivain Soljenitsyne (1979), va entraîner une relève des philosophies de l'histoire et de la lutte de classes par une nouvelle légitimation du système démocratique et par une apologie des droits de l'homme. Les philosophes, devenus sceptiques à l'égard des politiques révolutionnaires qu'ils justifiaient auparavant, redonnent ainsi à l'individu une place centrale, ce qui les oblige à renouer avec une réflexion éthique, qui avait été dédaigneusement sacrifiée depuis les années 1950. Loin des visions totalisantes de l'histoire, il importe de porter à nouveau attention aux problèmes [...]
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Écrit par :
- Jacques BILLARD : professeur agrégé à l'Institut universitaire de formation des maîtres de Versailles
- Jean LEFRANC : maître de conférences honoraire de philosophie, université de Paris-Sorbonne
- Jean-Jacques WUNENBURGER : professeur émérite de philosophie à l'université Jean-Moulin, Lyon
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Pour citer l’article
Jacques BILLARD, Jean LEFRANC, Jean-Jacques WUNENBURGER, « PHILOSOPHIE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 30 janvier 2023. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/philosophie/