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PERSONNALISME

Expression ultime de cette « découverte de la subjectivité » qui, selon Merleau-Ponty, s'est approfondie en trois siècles, de Montaigne à Kierkegaard, les philosophies de la personne ne se sont guère systématisées qu'au xxe siècle, sous la double pression d'un « impersonnalisme » philosophique, né de multiples influences conjuguées, et d'une dépersonnalisation de fait des rapports entre les hommes dans la société moderne. Diverses par leurs inspirations et par leurs styles, unifiées par un commun propos de sauver l'originalité irréductible de chaque conscience engagée dans l'espace et dans le temps, ces philosophies constituent un courant dit personnaliste, qui atteignit ses hautes eaux dans la première moitié finissante de ce même siècle, avant d'amorcer une décrue rapide sous l'influence, notamment, des systèmes d'inspiration structuraliste, néo-positiviste ou collectiviste. Cependant, « une fois introduite en philosophie, la pensée du subjectif ne se laisse plus ignorer. La subjectivité est une de ces pensées en deçà desquelles on ne revient pas, même et surtout si on les dépasse » (M. Merleau-Ponty).

La constitution d'une catégorie

Dans sa recherche des sources du personnalisme, l'historien doit procéder avec prudence, afin d'éviter l'illusion rétrospective : l'apparition d'une catégorie mentale est toujours un phénomène complexe, localisé et qui draine beaucoup d'ambiguïté. Étudiant le statut évolutif des termes πρ́οσωπον et persona qui désignent d'abord, dans l'Antiquité classique, le masque de théâtre, Maurice Nédoncelle a signalé le danger d'attribuer aux catégories de grammaire – entendons : je, tu, il..., ainsi que les voix du verbe – plus d'universalité qu'elles n'en ont. Dans le monde gréco-romain, un glissement s'opéra, du masque au personnage représenté, puis du rôle à l'acteur, qui faisait ainsi passer de la fonction sur scène au jeu social mené par l'individu. C'était évoquer, obscurément, par un nom commun, la série indéfinie des perspectives individuelles, dont l'universalité et l'unité originales ne devaient s'imposer que progressivement à la conscience philosophique d'Occident. Il y fallut nombre de « pulsions personnalistes » (Nédoncelle), reconnaissables dans l'histoire. On peut compter, parmi elles, la hantise de l'unité chez les platoniciens, l'affirmation de l'ἀυτ́αρκεια par les stoïciens, de la societas generis humani par Cicéron. Les spéculations chrétiennes sur la Trinité – une nature divine en trois hypostases –, sur l'Incarnation – une personne assumant deux natures, divine et humaine –, sur la destinée responsable et l'immortalité personnelle de chaque homme sont pour beaucoup dans l'enrichissement de la notion. C'est sans doute au christianisme qu'elle doit le plus clair de son statut métaphysique et de son prestige moral ; elle se trouve en effet d'abord fixée en contexte chrétien. Boèce (vie s.) propose entre autres la définition fameuse reprise par tout le Moyen Âge : rationalis naturae individua substantia. Ce n'était pas le meilleur de sa pensée, car, soulignant la seule individualité, la formule présentait l'inconvénient sérieux d'infléchir les recherches dans le sens restreint d'une conception monadique de la personne, conception qui en affectera longtemps la représentation.

À la Renaissance, la découverte de la subjectivité constitue une nouvelle avancée dans la double direction du subjectivisme individualiste et de la rationalité. Merleau-Ponty a énuméré la diversité de ces courants et précisé leur unité, qui est la présence de soi à soi avec son incommensurable valeur. Il y a le moi selon Montaigne et Pascal,[...]

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Pour citer cet article

Lucien JERPHAGNON. PERSONNALISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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Vladimir Jankélévitch - crédits : Louis Monier/ Bridgeman Images

Vladimir Jankélévitch

Max Scheler - crédits : ullstein bild/ Getty Images

Max Scheler

Autres références

  • BERDIAEV NICOLAS (1874-1948)

    • Écrit par Olivier CLÉMENT, Marie-Madeleine DAVY
    • 2 309 mots
    La formation de la personne humaine échappe au monde objectivé ; dépendant de la subjectivité, elle reçoit son animation de l'image divine qu'elle porte en elle et qui ne cesse de lui transfuser sa propre énergie. La tragédie de l'homme provient de la présence en lui des deux natures, il est le lieu...
  • DOMENACH JEAN-MARIE (1922-1997)

    • Écrit par Bernard VALADE
    • 957 mots

    Inséparable de la revue Esprit et du mouvement personnaliste qu'Emmanuel Mounier a fondés, le nom de Jean-Marie Domenach restera également associé à une série de refus et d'engagements qui furent ceux d'un homme de foi et de fidélité. Né à Lyon le 13 février 1922, c'est dans cette ville que, au...

  • ELLUL JACQUES (1912-1994)

    • Écrit par Gérard PAUL
    • 1 212 mots

    Universitaire, professeur de droit romain, auteur d'une Histoire des institutions en cinq volumes qui surprit ses pairs mais servit de référence à plusieurs générations d'étudiants en droit, enseignant aussi à l'Institut d'études politiques de Bordeaux, sociologue, Jacques Ellul se situait hors...

  • DIALOGUE

    • Écrit par Françoise ARMENGAUD, Robert MISRAHI
    • 4 421 mots
    • 1 média
    ...Absolu comme un face à face. Le dialogue avec l'Absolu est ici conçu comme une réponse faite par la « créature » à l'appel de Dieu, celui-ci devenant une personne ou un « Tu » éternel, et cessant d'être une chose ou un « cela ». Alors, le face à face devient rencontre : non pas événement extérieur ou empirique,...
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