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PÉRIODISATION, histoire

Critique et réhabilitation ?

Au fil du xxe siècle, la critique se développe sur plusieurs plans. Outil de l'intelligibilité historique, la périodisation finit par l'entraver. Après avoir célébré Michelet (« Comment Jules Michelet inventa la Renaissance », in Pour une histoire à part entière, 1962) mais déploré la tyrannie de la périodisation, Lucien Febvre se voit contraint à décrire trois Renaissances.

La sacralisation des périodes suppose la spécialisation, une culture de l'époque accessible au seul initié. Institutionnalisée, dotée de ses revues (Le Dix-Neuvième Siècle, Vingtième Siècle), de ses instances de sélection et de reproduction, la période ainsi consolidée fait de l'historien un antiquisant, un moderniste, un seiziémiste... Ainsi la construction intellectuelle se voit dotée d'une réalité sociale qui bientôt la naturalise en dépit des avertissements des maîtres de l'histoire méthodique (Charles Seignobos, « L'Enseignement de l'histoire dans les facultés », in Revue internationale de l'enseignement, 1884). L'historien oublie alors que l'homme du Moyen Âge de 1491 est le même que l'homme de la Renaissance de 1492. Ou qu'un simple déplacement de la date d'origine de l'ère chrétienne suffit pour faire débuter le vingtième siècle avec l'arrivée au pouvoir d'Adolf Hitler (Daniel Milo, Trahir le temps, 1991).

La critique porte aussi sur les modalités de construction des périodes. En 1903, un disciple d'Émile Durkheim, François Simiand (« Méthode historique et science sociale », in Revue de synthèse historique, 1903), dénie toute légitimité à un découpage du temps qui réunit dans une même enveloppe des faits hétérogènes. Marc Bloch reprend ce point de vue en ridiculisant l'idée d'un « journal de ce qui s'est passé dans mon laboratoire sous la présidence de Jules Grévy » par Louis Pasteur (Apologie pour l'histoire, 1949).

Ainsi, à chaque ordre de faits son rythme, sa scansion, sa périodisation, puisqu'il n'y aurait plus un seul temps social d'une seule et simple coulée, mais un temps social multiple. Ce nouveau mode de périodisation se déduit de la pratique de l'histoire sérielle ou encore de la tripartition des durées selon Fernand Braudel : longue durée des structures, durée moyenne de la conjoncture, courte durée de l'événement. Cette forme d'histoire implique nécessairement la mort de la périodisation antérieure fondée sur le Zusammenhang. Paul Veyne (L'Inventaire des différences, 1976) lit plutôt cette mutation comme la fin du mythe de la période, dont la véritable fonction serait d'individualiser et de rendre incomparables les temps de l'histoire.

Cependant, le retour de l'événement et le regain d'intérêt pour le récit comme forme d'intégration du discours historique réactivent la réflexion traditionnelle sur la spécificité des périodes. Comme l'avers et le revers d'une médaille, les deux approches de la période seraient nécessaires à la construction de l'historiographie comme récit vrai. Au fil des controverses, la périodisation traditionnelle devient une vision humaniste de l'histoire face à l'émiettement de la figure humaine ; quand la pensée du complexe devient l'ultime source de progrès pour les sciences, comme pour la gestion des sociétés humaines, la redécouverte de la période à l'ancienne, décapée de ses illusions réalistes, constitue un écho de cette tendance.

— Olivier LÉVY-DUMOULIN

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Écrit par

  • : professeur des Universités en histoire contemporaine, Institut d'études politiques, université de Lille-II

Classification

Pour citer cet article

Olivier LÉVY-DUMOULIN. PÉRIODISATION, histoire [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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