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MAÎTRES DE SAGESSE (Grèce antique)

Avant Platon, l'usage des termes philosophía, philósophos et philosopheîn semble avoir été très rare, compte tenu du petit nombre de textes antérieurs au ive siècle qui nous sont parvenus. Les rares occurrences qui en subsistent présentent un sens différent de celui que, suivant nos habitudes mentales, nous leur donnons spontanément. Chez Antiphon et chez Gorgias, philósophos indique la qualité d'un discours qui exprime adéquatement la pensée. Chez Héraclite, chez Hérodote et chez Thucydide, philósophos ou philosopheîn évoque l'acquisition de connaissances en général.

Le sage et le philosophe

Une telle pénurie ne serait pas trop grave si, comme certains l'ont cru, nous possédions l'acte de naissance du terme philósophos. Il s'agit d'une anecdote sur Pythagore racontée par Héraclide du Pont, qui, à la mort de Platon, aurait failli devenir le chef de l'Académie : « Pythagore fut le premier à s'appeler philosophe (philósophos) ; non seulement il employa un mot nouveau, mais il enseigna une doctrine originale. Il vint à Phlionte (cité du nord-est du Péloponnèse), il s'entretint longuement et doctement avec Léon, le tyran de Phlionte ; Léon, admirant son esprit et son éloquence, lui demanda quel art lui plaisait le plus. Mais lui, il répondit qu'il ne connaissait pas d'art, qu'il était philosophe. S'étonnant de la nouveauté du mot, Léon lui demanda quels étaient donc les philosophes et ce qui les distinguait des autres hommes. Pythagore répondit que notre passage dans cette vie ressemble à la foule qui se rencontre aux panégyries. Les uns y viennent pour la gloire que leur vaut leur force physique, les autres pour le gain provenant de l'échange des marchandises, et il y a une troisième sorte de gens, qui viennent pour voir les sites, des œuvres d'art, des exploits et des discours vertueux que l'on présente d'ordinaire aux panégyries. De même nous, comme on vient d'une ville vers un autre marché, nous sommes partis d'une autre vie et d'une autre nature vers celle-ci ; et les uns sont esclaves de la gloire, d'autres de la richesse ; au contraire, rares sont ceux qui ont reçu en partage la contemplation des plus belles choses et c'est ceux-là qu'on appelle philosophes (philósophoi), et non pas sages (sophoí), car personne n'est sage si ce n'est dieu... »

Les panégyries, qu'évoque Pythagore, étaient des réunions solennelles de plusieurs cités (par exemple les grandes panathénées à Athènes) donnant lieu à des cérémonies religieuses et à des fêtes variées : processions, sacrifices, concours gymniques et théâtraux, etc. C'était l'occasion de foires commerciales très fréquentées, car, comme le culte, ces foires étaient protégées par une trêve sacrée. Des philosophes, des orateurs, profitaient de la circonstance pour prononcer des discours pompeux, appelés « panégyriques ». On notera par ailleurs que les trois genres de vie évoqués correspondent aux trois fonctions mentionnées dans la République, les trois fonctions de l'idéologie indo-européennes qui ont pour objet respectif : le savoir, la force physique et la richesse, la philosophie ressortissant tout naturellement à la première fonction.

En ce qui concerne cette allusion à la philosophie, les interprétations divergent. Certains penchent pour l'authenticité de l'anecdote, alors que beaucoup d'autres estiment que les thèmes qu'elle met en œuvre trahissent une origine platonicienne et illustrent la conception platonisante qu'on se faisait de Pythagore à l'Académie, peu après la mort de Platon. L'argument décisif en faveur de cette dernière hypothèse réside dans l'affirmation touchant la sagesse qui clôt l'anecdote et fait écho à ces deux passages du corpus platonicien : « Parmi les[...]

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Luc BRISSON. MAÎTRES DE SAGESSE (Grèce antique) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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