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GORGIAS (env. 483-env. 374 av. J.-C.)

Né en Sicile, dans la colonie chalcidienne de Léontinum, Gorgias est avec son contemporain Protagoras le plus ancien et le plus fameux de tous les sophistes. Diogène Laërce (VIII, 58-59) en fait le disciple d'Empédocle. Ses concitoyens l'envoyèrent en ambassade à Athènes en 427 pour demander de l'aide contre les Syracusains, et son talent de rhéteur fit, dit-on, courir la ville. Voyageant de cité en cité, il forme contre argent de nombreux élèves — parmi lesquels Isocrate, Thucydide, Eschine, Critias, Agathon — et prend la parole à Delphes et à Olympie, avant de s'éteindre, riche et célèbre, plus que centenaire, en Thessalie.

Mais cette gloire unanime ne nous est parvenue qu'à travers la méfiance ou le mépris de la tradition philosophique aristotélicienne ; il est aussi difficile d'interpréter les œuvres qui nous sont parvenues que d'évaluer le personnage même du « sophiste ». Mis à part une Pythique, un Éloge des Éléens, peut-être un Éloge d'Achille et un Art rhétorique, dont on connaît seulement l'existence, Gorgias a laissé une Oraison funèbre et une Olympique, Éloge d'Hélène et une Apologie de Palamède, enfin un traité Sur le non-être ou sur la nature. Ces ouvrages, chacun dans son genre qui est d'ailleurs consacré, n'ont pour la plupart des commentateurs d'autre valeur que formelle : discours d'apparat ou jeux verbaux, où l'art rhétorique peut bien s'amuser à rendre le coupable innocent, le réel irréel et le faux vrai. Mais cette distinction entre un contenu aberrant et une forme séduisante est elle-même aussi aberrante que séduisante dès que l'on constate que chaque discours traite d'un point fondamental de la pensée grecque : ordre, fortune et nécessité ; homme et dieu ; nature et loi ; être et non-être... Ainsi, les trois thèses successives du traité : « rien n'est » ; « si c'est, c'est inconnaissable » ; « si c'est et si c'est connaissable, on ne le peut montrer à autrui » ne prennent leur sens que dans la perspective du Poème de Parménide et de la pensée de l'être et de la nature qui ouvre la tradition philosophique. Gorgias utilise la force de l'identité et la contrainte logique de la non-contradiction pour rendre impossible toute identité, toute identification d'un sujet du verbe être, et finalement toute structure prédicative. Il substitue l'acte autonome du discours à la parole de Parménide. Avec cette audace culmine la puissance de la sophistique.

— Barbara CASSIN

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Pour citer cet article

Barbara CASSIN. GORGIAS (env. 483-env. 374 av. J.-C.) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ANTIQUITÉ - Naissance de la philosophie

    • Écrit par Pierre AUBENQUE
    • 11 137 mots
    • 8 médias
    ...incontestables précurseurs de la logique. Les principaux sophistes sont : Protagoras (env. 490-420), pour qui « l'homme est la mesure de toutes choses » ; Gorgias (env. 480-390), théoricien de la rhétorique, mais aussi auteur d'un traité Sur le non-être, qui s'inscrit dans la tradition parménidienne...
  • LANGAGE (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 3 315 mots
    ...cette fois chez les sophistes, auxquels Aristote (env. 385-322 av. J.C.) reprocha d’avoir traité le langage « comme une autre nature ». Gorgias (env. 483-env. 374 av. J.-C.) est celui qui est allé le plus loin dans ce sens, précisant qu’« il est impossible, du fait qu‘il est une chose et qu’il...
  • SOPHISTIQUE

    • Écrit par Jacques BRUNSCHWIG, Barbara CASSIN
    • 6 771 mots
    Né en Sicile, Gorgias (env. 483-env. 374) fut, dit-on, l'élève d'Empédocle ; on lui attribue des théories physiques proches de celles de l'Agrigentin. Mais c'est comme technicien de la parole, orateur, improvisateur et styliste, qu'il devint célèbre et immensément riche. Il vint à Athènes en 427, comme...
  • RAISON

    • Écrit par Éric WEIL
    • 13 180 mots
    • 1 média
    ...discours, non de celui de la vérité absolue, mais du discours efficace, utile à celui qui veut gagner le peuple, les dirigeants, les juges populaires. Quant à l'Être, quant à ce qui est vraiment, Gorgias, précisément en acceptant les thèses éléatiques, s'en débarrasse : rien n'existe, déclare-t-il,...
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Voir aussi