Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

LUMIÈRES

L'Europe des Lumières

Très longtemps on a considéré que les Lumières comme un phénomène essentiellement français. Si des recherches, souvent importantes étaient consacrées à la diffusion des Lumières françaises en Europe, on faisait beaucoup moins de cas, par exemple, des origines étrangères de cette philosophie des Lumières, ou des formes qu'elles pouvaient revêtir, fussent-elles inspirées par la France, après avoir franchi une frontière ou changé de langue.

On n'accusera pas le seul francocentrisme d'un tel état de fait. Sans doute un vif sentiment de supériorité culturelle a-t-il ici joué son rôle. Mais rappelons aussi que les Lumières, fait alors sans doute unique, ont été en France, dès l'origine, l'objet d'un double discours, laudatif ou péjoratif, mais toujours politique, et qu'on en a fait une des causes déterminantes de la Révolution française qui aurait incarné leurs valeurs. Comme les Lumières, la Révolution a servi de modèle et de référence aux mouvements de libération nationale européens tout au long du xixe siècle. Enfin n'était-il pas acquis que l'Europe intellectuelle parlait français ? Une vision plus européenne des Lumières est apparue tardivement. Chez Gustave Lanson qui a montré dans une célèbre édition critique ce que les Lettres philosophiques de Voltaire devaient aux sources anglaises, mais plus encore chez Paul Hazard qui publia en 1935, La Crise de la conscience européenne (1680-1715). Par ailleurs, l'intérêt porté par le marxisme au xviiie siècle a fait que dans les pays soumis à la tutelle soviétique, tout comme en U.R.S.S, les académies des sciences consacrèrent une grande part de leurs travaux aux Lumières en général et à la forme nationale qu'elles avaient revêtue. Ce fut, par exemple, le cas pour la Russie, la Hongrie, et la R.D.A.

On peut aujourd'hui mesurer non seulement ce que fut la diffusion des Lumières, mais leur spécificité selon le pays considéré. Ainsi s'explique l'intérêt pour le despotisme éclairé qui toucha essentiellement la Prusse, la Russie et l'Autriche, pour des auteurs jugés marginaux, quand bien même ils avaient écrit en français, comme le comte Sociedad Jan Potocki (1761-1815), auteur d'un étonnant récit, Le Manuscrit trouvé à Saragosse, qui est le seul roman baroque des Lumières. On a pu rendre à chaque pays son dû philosophique, et remettre en cause les idées reçues. On doit ainsi à l'Italie une réflexion fondamentale sur la justice et ses pratiques grâce au traité du marquis de Beccaria (1738-1794), Des délits et des peines (1764) et aux Observations sur la torture de Pietro Verri (1777). Mais on doit plus encore à l'Angleterre. La première traduction française de L'Essai philosophique concernant l'entendement humain de John Locke date de 1723. Il s'en publiera huit éditions auxquelles s'ajoutent trois éditions d'un Abrégé. Cet ouvrage est la source du Traité des sensations de Condillac, paru en 1754, et du sensualisme que Diderot applique au domaine moral dans La Lettre sur les aveugles (1749) et à la formation de l'intellect dans L'Entretien avec d'Alembert (1769). L'essai Du gouvernement civil est traduit en 1691, et sa septième édition paraît en 1795. Si son influence immédiate n'est pas évidente, elle n'en est pas moins très sensible dans les débats sur la « constitution française » et l'avenir, après 1789, de la monarchie elle-même.

L'Europe géographique est parfaitement définie dès la Renaissance. Mais elle ne correspond pas à l'Europe culturelle constituée au cours du xviie siècle qui se limite d'abord à l'Espagne, l'Italie, la Grande-Bretagne et la France, ni à l'Europe religieuse, protestante au nord, catholique au Sud et orthodoxe à l'est. Dans un concert dissonant, chacun de ces[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur émérite de l'université de Tours, Institut universitaire de France

Classification

Pour citer cet article

Jean Marie GOULEMOT. LUMIÈRES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 30/07/2019

Média

<it>Une lecture chez Madame Geoffrin</it>, A.C.G. Lemonnier - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Une lecture chez Madame Geoffrin, A.C.G. Lemonnier

Autres références

  • QU'EST-CE QUE LES LUMIÈRES ? Emmanuel Kant - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 1 136 mots

    Publié en 1784 dans la BerlinischeMonatsschrift, soit trois ans après la Critique de la raison pure (1781) et quatre ans avant la Critique de la raison pratique (1788), Qu’est-ce que les Lumières ? peut être considéré comme le bouquet du feu d’artifice de cette période qualifiée d’ « ...

  • ABOLITIONNISME, histoire de l'esclavage

    • Écrit par
    • 2 943 mots
    • 3 médias
    ...Sans doute les abolitionnistes anglais ont-ils influencé la France, mais l'abolitionnisme français tire avant tout sa justification de la philosophie des Lumières. Quelles que soient leurs divergences sur la légitimité et l'utilité des colonies, les philosophes avaient été unanimes à condamner l'esclavage...
  • ADORNO THEODOR WIESENGRUND (1903-1969)

    • Écrit par
    • 7 899 mots
    • 1 média
    ...mouvement interne d'autodestruction. Même éveillée, la raison engendre des monstres. Aussi les théoriciens critiques prennent-ils le contre-pied de la thèse classique des Lumières qui faisait de la raison – le penser éclairé – un adversaire déclaré du mythe. Selon Adorno et Horkheimer, il existe une...
  • ALEMBERT JEAN LE ROND D' (1717-1783)

    • Écrit par
    • 2 874 mots
    • 2 médias

    L'un des mathématiciens et physiciens les plus importants du xviiie siècle, d'Alembert fut aussi un philosophe marquant des Lumières. Dans les sciences aussi bien qu'en philosophie, il incorpora la tradition du rationalisme cartésien aux conceptions newtoniennes, ouvrant la voie...

  • ALFIERI VITTORIO (1749-1803)

    • Écrit par
    • 2 586 mots
    • 1 média
    ...nouveau courant de sensibilité qui tend à en dépasser les limites. Plus qu'aucun écrivain italien de son temps, Alfieri a vécu la crise de l'idéologie des «  Lumières » : son œuvre est un effort désespéré pour canaliser dans un cours rationnel des forces nouvelles. Ainsi s'explique l'aspect barbare de son théâtre,...
  • Afficher les 128 références