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THOMPSON LUCKY (1924-2005)

« Le peu „Lucky“ Thompson » (lucky : « veinard »). Ce titre de l'interview que le grand saxophoniste américain a accordée à son compatriote et confrère Phil Woods en 1969 (et publié dans Jazz Magazine de juin) est éloquent : ni le grand public ni même les amateurs éclairés ne semblent avoir reconnu à sa juste valeur son exceptionnel talent et c'est dans la misère que s'est achevée la vie de l'un des plus passionnants musiciens de sa génération, maillon essentiel reliant le monde du swing à celui du bop. Il est vrai qu'un refus obstiné de toute concession commerciale, des relations orageuses avec ceux qu'il qualifie de « vautours » – producteurs de disques et patrons de clubs –, une carrière qui connaît de nombreuses éclipses ainsi que de tenaces préjugés raciaux l'ont durablement écarté des sentiers de la gloire.

Eli Thompson, né à Columbia, en Caroline du Sud, le 16 juin 1924, grandit à Detroit. Le mot « Lucky » figurant sur un sweater que son père lui a offert lui vaut son sobriquet. Sa famille est pauvre, et il ne peut s'offrir le saxophone de ses rêves qu'à l'âge de quinze ans. Il se fait très vite remarquer au saxophone ténor. En 1943, il fait un bref passage chez Lionel Hampton et s'établit à New York. Il se multiplie dans les cabarets de la 52e Rue, dans les formations de Big Sid Catlett, Don Redman, Lucky Millinder, Slam Stewart et Hot Lips Page, avec qui il réalise ses premiers enregistrements en 1944. Il appartient au big band de Billy Eckstine (1944) – haut lieu du modernisme jazzistique, qui rassemble alors l'élite de l'avant-garde bop et où il côtoie Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Art Blakey, Sarah Vaughan... – puis à celui de Count Basie (1944-1945). Il part ensuite pour Los Angeles, où il devient un musicien de studio demandé, participant à plus de cent enregistrements en deux ans, comme leader et comme sideman : le 28 mars 1946, il participe à l'enregistrement de l'album Ornithology de Charlie Parker, dans lequel la trompette est tenue par le jeune Miles Davis ; en 1947, il grave l'un de ses chefs-d'œuvre, un solo d'anthologie sur Just One More Chance, au sein d'un groupe qui compte Neal Hefti, Benny Carter et Barney Kessel.

De retour à New York en 1948, il dirige un orchestre qui se produit au Savoy Ballroom (1951-1953), enregistre avec Thelonious Monk (1952), participe à l'enregistrement du fameux album de Miles DavisWalkin' (1954), où il côtoie Jay Jay Johnson, Horace Silver, Percy Heath et Kenny Clarke. Il retrouve dans les studios Jo Jones (1955) et Milt Jackson (1956 et 1957). En 1956, Stan Kenton l'appelle, au saxophone baryton, pour la tournée qu'il effectue en Europe. Thompson décide à la fin de 1958 de s'établir à Paris, enregistrant avec de nombreux musiciens français : Guy Lafitte, Henri Renaud, Martial Solal, Gérard Pochonet, Michel de Villers... C'est à cette époque qu'il adopte le saxophone soprano. Il regagne les États-Unis en 1963, puis s'établit à Lausanne (1968-1970), effectuant des tournées en Europe avec Buddy Tate, Milt Buckner, Wallace Bishop, Tete Montoliu... En 1973-1974, il enseigne au Dartmouth College (New Hampshire) et à l'université Yale. Écœuré par l'establishment musical, il disparaît complètement de la scène musicale. Ses déboires financiers deviennent tels qu'il est obligé de céder son dernier saxophone pour payer des soins dentaires. S.D.F. depuis la fin des années 1980, atteint de la maladie d'Alzheimer, il meurt à Seattle (État de Washington) le 30 juillet 2005.

Maître incontesté du saxophone ténor de l'ère swing, Lucky Thompson doit à Coleman Hawkins sa puissance expressive et l'ampleur de sa sonorité. Chu Berry lui offre sa volubilité, Don Byas et Ben Webster ces longues phrases sinueuses[...]

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