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LISSITZKY ELIEZER dit EL (1890-1941)

Lazar Mordukhovitch Lissitzky, architecte, peintre, photographe et typographe, est né à Potchinok (province de Smolensk) en 1890, au sein d'une famille juive. Refusé à l'Académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg, en raison des quotas raciaux pratiqués, il s'inscrit en 1909 à l'École polytechnique de Darmstadt, pour être ingénieur architecte. De 1909 à 1914, Lissitzky parcourt la France, l'Italie et l'Allemagne, où il étudie les édifices religieux. Quand la guerre l'oblige à regagner la Russie, il approfondit en autodidacte sa maîtrise des arts graphiques et de la peinture. Son œuvre s'engage d'abord dans la renaissance de la culture nationale juive qui, avec la participation notoire de Marc Chagall, prend son essor dans les années 1910. À l'automne de 1919, sa rencontre avec Kasimir Malévitch provoque cependant une réorientation profonde de ses préoccupations esthétiques. Dans le contexte postrévolutionnaire, Lissitzky rejoint les rangs des opposants à la peinture de chevalet, pratique jugée bourgeoise et individualiste : avec ses œuvres interdisciplinaires appelées prouns, il entreprend de repenser l'architecture, l'urbanisme et le design à partir des expériences spatiales de la peinture abstraite. Architecte n'ayant jamais construit, il figure pourtant parmi les catalyseurs du constructivisme international des années 1920. Outre ses contributions majeures à l'histoire du graphisme et ses innovations muséographiques, il a été l'un des principaux théoriciens d'une nouvelle synthèse des arts qui, fondée sur la notion d'environnement, s'attache à redéfinir la place du spectateur.

Primitivisme et premiers travaux d'illustration

Les gouaches peintes avant la guerre, des « souvenirs » de Ravenne, de Venise ou de Vitebsk, ainsi qu'un projet de scène pour Le Navire de Gabriele D'Annunzio (1914) adoptent un style décoratif, sous l'influence de l'Art nouveau russe. La couverture dessinée pour le recueil du poète Konstantin Bolchakov, Solntse na izlete (Soleil en vol, 1916), en revanche, témoigne par son graphisme dynamique et sa thématique prométhéenne d'un engouement pour le futurisme. C'est vers le milieu de l'année 1916 que Lissitzky s'investit dans la revalorisation de la culture juive de Russie : il commence par effectuer, pour la Société juive d'ethnographie de Saint-Pétersbourg, une étude de l'ancienne synagogue de Mohilev. Dans ses notes autobiographiques de 1930 et de 1941, l'artiste tend à sous-évaluer ce premier militantisme : il souligne s'être engagé dès 1917 dans la section des arts visuels du Commissariat du peuple à l'instruction (le Narkompros) et avoir dessiné un drapeau pour le défilé du 1er mai 1918, informations non prouvées à ce jour. De cette période, Lissitzky a surtout laissé un important corpus lithographique de style primitiviste, lié à l'épanouissement de l'édition en hébreu et en yiddish. En 1917, il illustre le livre de Moyshe Broderzon Une légende de Prague, dont l'édition de luxe est présentée en rouleau dans un boîtier de bois, à la manière d'une Thora. La même année, il participe avec Chagall à l'Almanach littéraire et artistique de l'association de promotion du yiddish, le Kunstring, et organise des expositions d'artistes juifs. Au début de 1919, il se rattache plus formellement à la Kultur-Lige de Kiev, dont le but est d'unir les idéaux socialistes et la culture yiddish séculière. Là, un contrat l'engage à illustrer onze livres pour enfants, dont seuls trois seront publiés. Cette association édite aussi son premier portfolio de lithographies, Une chèvre, où la mise en page flottante et les aplats géométrisants laissent présager les effets d'apesanteur des compositions abstraites ultérieures.[...]

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Écrit par

  • : docteur en histoire de l'art, responsable de programmation au musée du Louvre

Classification

Pour citer cet article

Marcella LISTA. LISSITZKY ELIEZER dit EL (1890-1941) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

<em>Frappe les Blancs avec le coin rouge</em>, El Lissitzky - crédits : De Agostini Picture Library/ Bridgeman Images

Frappe les Blancs avec le coin rouge, El Lissitzky

Autres références

  • CHAGALL, LISSITZKY, MALÉVITCH. L'AVANT-GARDE RUSSE À VITEBSK 1918-1922 (exposition)

    • Écrit par Elitza DULGUEROVA
    • 1 210 mots
    • 1 média

    Près de quarante ans après l’emblématique Paris-Moscou 1900-1930 (1979), l’exposition Chagall, Lissitzky, Malévitch : l’avant-garde russe à Vitebsk, 1918-1922 (Paris, Musée national d’art moderne – Centre Georges-Pompidou, 18 mars - 16 juillet 2018) adopte un angle d’approche inédit...

  • ABSTRAITS DE HANOVRE

    • Écrit par Isabelle EWIG
    • 2 598 mots
    • 1 média
    ...sur le constructivisme, sans oublier l'intérêt porté aux arts non occidentaux ainsi qu'aux nouvelles technologies (photographie et film). De 1922 à 1924, El Lissitzky disposa au sein même de la Kestner-Gesellschaft d'un atelier et ancra par sa présence un peu plus encore le constructivisme...
  • AFFICHE

    • Écrit par Michel WLASSIKOFF
    • 6 817 mots
    • 12 médias
    Avec Battez les blancs avec le coin rouge (1919),El Lissitzky livre un manifeste visuel qui ouvre la voie aux expérimentations des artistes constructivistes, portés en avant par la révolution d'Octobre. Ceux-ci proclament la mise au service du peuple des recherches artistiques. L'affiche est un formidable...
  • CHEFS-D'ŒUVRE PHOTOGRAPHIQUES DU MOMA. LA COLLECTION THOMAS WALTHER (exposition)

    • Écrit par Armelle CANITROT
    • 1 109 mots
    • 1 média
    ...Ewald Hoinkis piège son reflet et celui de son tripode dans une ampoule électrique (vers 1930). Pour son Autoportrait (le constructeur) [1924], le Russe El Lissitzky élabore une surimpression sophistiquée œil-paume-compas-typographie, véritable manifeste de la mission qu’il assigne au photographe. ...
  • CONSTRUCTIVISME

    • Écrit par Andréi NAKOV
    • 3 373 mots
    • 2 médias
    ...réalise sa première grande construction à Moscou, le Centrosoyouz (1930). En 1921, l'exode des artistes russes commence : Kandinsky, Gabo, Pevsner, El Lissitzky et Malevitch trouvent en Allemagne un terrain propice à leurs idées. Les expositions berlinoises de 1922, 1923 et 1927 font connaître aux artistes...
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Voir aussi