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HISTOIRE (Domaines et champs) Histoire culturelle

À l'orée du xxie siècle, l'histoire culturelle apparaît comme particulièrement en vogue. La formule est d'usage fréquent pour qualifier un champ de recherche : « histoire culturelle » en France, cultural history ou culture history dans les pays anglo-saxons, Kulturgeschichte en Allemagne... On peut la définir comme une modalité d'histoire sociale qui circonscrit son enquête aux phénomènes symboliques ou, pour le dire plus simplement, comme une histoire sociale des représentations. Des pans entiers de l'historiographie sont relus à sa lumière, y compris en histoire du contemporain (xixe et xxe siècle), dernière période touchée par le mouvement.

Tout domaine de recherche est tenté de se donner de grands ancêtres : l'histoire culturelle n'échappe pas à cette quête des origines. D'un côté, elle revendique l'héritage de l'histoire de la « civilisation » qui, issue du projet des Lumières (Voltaire, Herder), s'est principalement développée outre-Rhin avec Jakob Burckhardt, Johan Huizinga ou Ernst Gombrich. De l'autre, elle se reconnaît dans l'histoire des « mentalités » du xxe siècle, à laquelle les travaux de Jean Delumeau, Michel Vovelle ou Robert Mandrou ont donné corps. Comme le montre cette généalogie rapide, l'intérêt pour les phénomènes culturels a précédé l'invention de l'expression « histoire culturelle ». C'est au moment où Jacques Le Goff constate l'essoufflement de l'histoire des mentalités que l'historien français Maurice Crubellier publie, en 1974, une Histoire culturelle de la France (XIXe et XXe siècle). Ce domaine de recherche obtiendra une vraie légitimité avec les réflexions épistémologiques et méthodologiques menées à partir du début des années 1980 (Pascal Ory, Jean-Pierre Rioux, Jean-François Sirinelli). L'histoire culturelle devient un champ de recherche à la mode ; les travaux se multiplient et des historiens français, mais aussi anglo-saxons (Lynn Hunt), signent des manifestes qui expriment la vigueur et le dynamisme d'un champ de recherche désormais autonome.

Une définition

La « culture » envisagée par l'histoire culturelle n'est pas celle de l'acception restreinte (capital de connaissances acquises), mais celle de l'acception large : elle englobe l'ensemble des représentations collectives propres à une société. La représentation est au cœur de cette définition et du champ qu'elle délimite. Comme forme sensible, elle engendre des pratiques et des discours. Ainsi, une équation algébrique est-elle une représentation du monde, au même titre – quoique pas à la même place – qu'un traité de philosophie ou une bande dessinée.

L'histoire culturelle ne suppose pas que ces représentations doivent correspondre à la « réalité », mais elle s'intéresse aux effets de réel. Ces représentations, nécessairement vraies pour les agents sociaux, structurent néanmoins leurs actes. Quant au caractère collectif sur lequel la définition insiste, il rappelle que ces représentations sont des phénomènes sociaux, partagés par tous les membres d'un groupe. Ils peuvent être de différente nature : géographique, démographique, professionnelle, idéologique, confessionnelle... En voulant rendre compte de ces phénomènes, l'histoire culturelle manifeste bien son appartenance à l'histoire sociale, même si elle circonscrit son enquête aux phénomènes symboliques alors que l'histoire sociale classique a le projet de reconstituer tous les modes de fonctionnement du groupe considéré.

À ce stade, il est nécessaire de lever l'incertitude ou la confusion entretenues entre l'histoire culturelle et les approches « qualitatives » vouées aux arts, aux sciences et aux idées. Par leurs origines, ces dernières sont articulées autour du jugement de[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-I-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Pascal ORY. HISTOIRE (Domaines et champs) - Histoire culturelle [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • HISTOIRE (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 3 161 mots

    Tandis que la physique étudie le monde sensible ou la chimie la transformation de la matière, l’histoire (mot issu d’un vocable grec signifiant « enquête ») étudie... l’histoire. La plupart des langues européennes désignent également par un même mot l’étude et l’objet de l’étude. Est-ce là une imperfection...

  • LE RÔLE SOCIAL DE L'HISTORIEN (O. Dumoulin)

    • Écrit par Bertrand MÜLLER
    • 995 mots

    Au cours de ces dernières décennies, les scènes d'intervention de l'historien se sont multipliées. Sans changer apparemment de costume, l'historien joue de nouveaux rôles : désormais requis comme témoin ou expert sur des scènes sociales – tribunaux, médias, commissions, etc. –, qui ne sont pas a priori...

  • À DISTANCE. NEUF ESSAIS SUR LE POINT DE VUE EN HISTOIRE (C. Ginzburg) - Fiche de lecture

    • Écrit par François-René MARTIN
    • 1 032 mots

    À distance. C'est sous ce titre que l'édition française de l'ouvrage de Carlo Ginzburg rassemble les neuf essais qui le composent (Gallimard, Paris, 2001). Le livre est traduit trois ans après sa publication en italien chez Giangiacomo Feltrinelli Edition sous le titre d'Occhiacci...

  • L'ÂGE DES EXTRÊMES. HISTOIRE DU COURT XXe SIÈCLE (E. Hobsbawm)

    • Écrit par Marc FERRO
    • 805 mots

    L'Âge des extrêmes (Complexe-Le Monde diplomatique, 1999) constitue le quatrième et dernier tome d'un ensemble d'ouvrages qui ont analysé le destin des sociétés depuis la fin du xviiie siècle. Le premier tome, L'Ère des révolutions, traite de la transformation du monde...

  • AGERON CHARLES-ROBERT (1923-2008)

    • Écrit par Benjamin STORA
    • 776 mots

    Historien de l'Algérie contemporaine, Charles-Robert Ageron est né le 6 novembre 1923 à Lyon. Il était issu d'une famille de petits patrons d'atelier. Son père dirigeait une modeste entreprise de mécanique. Bachelier en 1941, il s'inscrit à la faculté des lettres de Lyon où l'un de ses professeurs...

  • AGNOTOLOGIE

    • Écrit par Mathias GIREL
    • 4 992 mots
    • 2 médias

    Le terme « agnotologie » a été introduit par l’historien des sciences Robert N. Proctor (université de Stanford) pour désigner l’étude de l’ignorance et, au-delà de ce sens général, la « production culturelle de l’ignorance ». Si son usage académique semble assez circonscrit à la ...

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Voir aussi