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EUGÉNISME

On pouvait croire le projet d'« améliorer la race humaine », qui définit l'eugénisme, à jamais disqualifié du fait des applications criminelles qu'il a inspirées par le passé dans de nombreux pays, et non pas seulement dans la seule Allemagne nazie comme on aurait parfois trop tendance à croire. Mais les progrès les plus récents dans la connaissance du génome humain ont pourtant réhabilité cette vieille ambition élitiste, débarrassée de l'idéologie raciste. En promettant à chaque individu la reproduction du meilleur de lui-même, la science rendrait-elle aujourd'hui enfin acceptable le principe d'une sélection génétique des embryons ? La question, comme par le passé, n'est pas seulement d'ordre scientifique.

Histoire de la notion

Les idées eugénistes remontent à l'Antiquité, où elles furent parfois appliquées (ainsi en Grèce, et plus spécialement à Sparte, où l'on abandonnait à la mort les nouveau-nés anormaux). Elles ne disparurent jamais complètement, resurgissant à diverses époques sous différentes formes, mais sans avoir d'applications, sinon très marginales.

Francis Galton - crédits : Bettmann/ Getty Images

Francis Galton

C'est seulement à la fin du xixe siècle qu'il y eut une véritable théorisation de l'eugénisme. C'est à cette époque, en 1883, que le mot eugenics fut inventé par Francis Galton, à partir du grec ἔυγενης, qui signifie « bien né ». Étymologiquement, l'eugénisme (ou eugénique) se voulait donc la science des bonnes naissances.

Un produit idéologique du XIXe siècle

Au xixe siècle, l'urbanisation et la prolétarisation inhérentes à la révolution industrielle avaient multiplié différents maux tenant à la paupérisation de certaines couches de la population, à leur rassemblement et leur promiscuité dans de mauvaises conditions d'hygiène au sein des villes. D'où un accroissement (mais aussi une plus forte visibilité, du fait de leur concentration) des maladies infectieuses (tuberculose, syphilis notamment), maladies mentales, troubles du comportement, alcoolisme, délinquance, etc. Comme la société industrielle était censée représenter le progrès, on ne pouvait lui imputer ces maux. Comme l'époque était scientiste, on chercha une cause « médicale », et on la trouva : ce fut la dégénérescence. Celle-ci devint alors un leitmotiv idéologique et une explication universelle pour tous les troubles, de la tuberculose jusqu'à la criminalité, en passant par la prostitution, l'alcoolisme et l'arriération mentale.

En 1859, la publication de L'Origine des espècesde Darwin tomba à point pour fournir l'explication de cette dégénérescence de l'humanité et, aussitôt, se développa l'idée que c'était l'absence de sélection naturelle qui en était responsable. Tout aussi rapidement, l'idée vint que la science pourrait corriger cette dégénérescence par un substitut de cette sélection, ce fut l'eugénisme.

Cette relation de l'eugénisme au darwinisme dépasse la simple parenté de contenu (et d'auteurs : Galton était le cousin de Darwin). En effet, au xixe siècle, la biologie intégra à ses théories diverses notions empruntées à la sociologie et à l'économie. Le darwinisme en est l'illustration la plus caricaturale, avec son utilisation de la concurrence et du malthusianisme. Ces notions empruntées furent « naturalisées » par la biologie, ce qui leur donna une aura scientifique dont elles étaient auparavant dépourvues. La sociologie et l'économie les récupérèrent alors, et s'en servirent pour « naturaliser » et « biologiser » l'ordre social et économique au nom de la science. L'eugénisme fut l'un des résultats de cette « naturalisation » et de cette « biologisation » de la société.

Parallèlement se développèrent plusieurs thèses biosociologiques[...]

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Écrit par

  • : chercheur au C.N.R.S. en épistémologie et histoire des sciences
  • : directeur de recherche honoraire à l'INSERM
  • Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

Classification

Pour citer cet article

Universalis, André PICHOT et Jacques TESTART. EUGÉNISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Francis Galton - crédits : Bettmann/ Getty Images

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