- 1. L'organisation de la vie sociale
- 2. Groupements par âge et par sexe
- 3. Les liens de parenté
- 4. L'institution matrimoniale et ses règles
- 5. Statuts et stratification
- 6. Relations économiques
- 7. Relations politiques
- 8. Relations rituelles
- 9. La régulation sociale
- 10. Valeurs et vision du monde
- 11. Élargissement du champ de recherche
- 12. Bibliographie
ETHNOLOGIE Ethnologie générale
Les liens de parenté
L'ethnologie a permis de comprendre avec précision la nature de la parenté ; c'est l'une de ses contributions les plus importantes. La parenté est la reconnaissance sociale de liens biologiques réels ou supposés, qui se créent par les naissances et les mariages. La continuité de toute société dépend de la procréation et de l'éducation des nouveaux membres. La légitimité des enfants engendrés est assurée par le système de parenté. Aux personnes et aux groupes responsables de veiller sur eux, de les former et de leur donner la place qui leur revient dans la société.
L'unité minimale de parenté est la famille élémentaire (nucléaire, individuelle) : elle comporte le père, la mère et les enfants. Presque tous les adultes appartiennent à deux familles de ce type, que W. L. Warner appelle famille d'orientation (celle où l'on est né ou adopté) et famille de procréation (celle où l'on est soi-même père ou mère), familles qui, en se liant les unes aux autres, forment un cadre complexe de rapports, comprenant des liens de consanguinité (par le sang) et d'affinité (par mariage). L'adoption simule la consanguinité. Dans la plupart des sociétés humaines, la parenté joue un rôle dans les affaires économiques, politiques, judiciaires et rituelles.
Les premières recherches sur le sujet en ethnologie commencèrent par des études de terminologie de L. H. Morgan. Il chercha, ainsi que d'autres à la même époque, à classer les termes des systèmes de parenté en les considérant comme des stades de l'évolution humaine, correspondant à des niveaux de développement politique et technologique. Si une distorsion apparaissait entre la terminologie et la structure sociale, ces penseurs émettaient l'hypothèse d'un état antérieur de la société où existait une exacte correspondance : Lowie, Radcliffe-Brown et Malinowski contestèrent cette théorie évolutionniste et insistèrent sur l'analyse et la comparaison de sociétés contemporaines pour déterminer des principes généraux. On abandonna, parce que vaine, toute spéculation sur les origines des institutions humaines, qui avait été le moteur de l'ethnologie à ses débuts.
Pour les savants d'aujourd'hui, la signification des termes de parenté ne peut pas être comprise sans se référer au schéma général du comportement lié à ces relations. Néanmoins, le vocabulaire apporte des indices pour saisir la structure d'une société. Il fait apparaître la classification des liens familiaux, il reflète le système de descendance et fournit des symboles linguistiques à maints comportements sociaux.
Famille nucléaire et famille étendue
Considérée comme unité élémentaire, la famille nucléaire se distingue nettement de l'unité domestique qu'est la maisonnée, même si ces unités se recouvrent en fait. Selon les statistiques, la famille élémentaire est fréquemment l'unité de base pour la résidence ; elle dispose d'un logement distinct. Dans de nombreuses sociétés, cependant, comme en Malaisie, le jeune couple commence sa vie matrimoniale dans la maison de l'un des parents, plutôt que dans une nouvelle maison (habitat « néolocal »). S'il réside chez les parents du jeune homme, l'habitat sera « patrilocal » ou, mieux, « virilocal » ; « matrilocal » ou « uxorilocal » dans le cas contraire. Dans une unité domestique de ce type, les membres forment une famille élargie (ou « étendue »). Comprenant deux ou plusieurs frères ou sœurs, leur conjoint et leurs enfants, une maisonnée pourrait s'appeler famille mixte (joint family, fraternelle ou sororelle, suivant le cas). Dans quelques sociétés, comme dans les campagnes turques, les deux sortes de structures peuvent apparaître à la mort du chef de famille. Les ethnologues modernes prennent de plus en plus conscience de la signification que revêt le cycle de développement dans la structure et les activités de ces groupes domestiques.
L'étude de la descendance est aujourd'hui capitale pour l'ethnologie. Né (ou adopté) dans un foyer, on appartient quant à la descendance à un ensemble plus vaste, en fonction du père ou de la mère, ou bien d'un seul des parents. Les liens de filiation établis d'après un seul des parents sont dits unilinéaires ; il s'agit d'un lignage : patrilignage si, par les hommes, il concerne les descendants d'un même ancêtre, avec leurs sœurs et leurs filles ; matrilignage si, par les femmes, il concerne les descendantes d'une ancêtre, avec leurs frères et fils. Un lignage forme d'ordinaire un corps dont les membres ont en commun des droits et des devoirs. Le nombre des générations qui le compose n'est pas fixe, mais il est en général de cinq à dix. Souvent, d'ailleurs, les rapports généalogiques d'un lignage important sont imprécis ou même inventés et sans base historique. Le lignage, comme élément structurel, peut résulter d'un processus de ramification : ainsi, lorsque les fondateurs de deux ou trois petits lignages sont donnés pour frères, on a affaire à un seul grand lignage dont les descendances moins importantes sont les segments ; ce processus de segmentation peut aller très loin. Evans-Pritchard, M. Fortes, E. R. Leach, A. W. Southall, J. Middleton ont montré que bien des rapports politiques et rituels dans une société primitive relèvent de cette structure segmentée.
Dans beaucoup de sociétés, l'exogamie est de règle : un homme n'épouse pas une femme issue de son propre lignage ; les mariages établissent alors des relations de lignage à lignage. La structure des sociétés patrilinéaires (Nuer, Tallensi, Tikopia), où l'homme appartient au groupe de son père, est très différente de celle des matrilignages (Nayar, Trobriandais, Hopi, Dobu), où il relève du groupe du frère de sa mère.
Rôle de l'habitat et du clan
Le modèle régissant l'habitat joue un grand rôle dans le fonctionnement du principe unilinéaire. Chez les Tallensi, les maisonnées de frères et de fils de frères sont habituellement voisines, puis les maisonnées d'une même zone forment un lignage plus vaste et ainsi de suite, reflétant la structure du lignage. Chez les Nuer, cette localisation existe, mais elle est fictive car souvent les hommes vivent avec leurs parents par leur mère ou par leur femme. Le problème est plus complexe dans les sociétés matrilinéaires. Peut-être tous les hommes d'un même lignage vivent-ils ensemble, mais leurs enfants appartiennent au lignage maternel. Chez les Trobriandais, pour surmonter cette difficulté, les fils rejoignent les frères et leur mère à l'adolescence. Si toutes les femmes d'un lignage vivent ensemble, aucun homme du lignage ne peut être présent pour diriger les affaires, sauf si, comme chez les Hopi, frères et sœurs vivent normalement dans le même village. Les Yao du Nyassaland résolvent le problème en permettant au fils aîné de chaque série de sœurs (groupe sororel) d'habiter auprès de ses sœurs (avec sa propre épouse) afin de s'occuper de leurs affaires. Dans les îles d'Entrecasteaux, chez les Dobu, les couples vivent alternativement dans le village du mari et dans celui de la femme. Chez les Nayar, les maris rendent seulement visite à leur femme ; la maison commune abrite frères, sœurs et enfants des sœurs (nés des maris en visite). Ici, comme souvent, les membres du lignage qui ne font pas partie de la famille mixte ne vivent pas à proximité mais ils lui restent liés par un ensemble de droits, devoirs, rites et symboles.
Le terme de clan, dont le sens est souvent vague dans les travaux anciens, désigne d'ordinaire soit un groupe qui affirme descendre d'un seul ancêtre, soit, comme le proposait G. P. Murdock, un groupe de parenté contractuel avec communauté de résidence. Autrefois, on définissait le clan comme une unité exogamique, mais une définition aussi rigoureuse ne se justifie pas. Le mot est aujourd'hui réservé aux groupes de descendance unilinéaire, malgré le caractère bilatéral des clans écossais qui servirent de point de départ.
Systèmes de lignage
Il existe des sociétés où les deux systèmes, matrilinéaire et patrilinéaire, coexistent à des fins sociales différentes. Il s'agit de la descendance unilinéaire double. Ainsi, chez les Yakö du Nigeria, comme l'a montré C. D. Forde, maisonnée et groupe d'exploitation agricole sont fondés sur le lignage patrilinéaire ; mais, malgré l'absence de résidence commune, le lignage matrilinéaire est d'une grande importance pour les systèmes politiques et religieux. L'influence occidentale tend à faire éclater les groupes de parenté relativement vastes, à mesure que s'affirment les droits des individus. A. I. Richards et M. Fortes ont montré que les pères, en système matrilinéaire, chez les Bemba et les Ashanti, reprennent les fonctions traditionnellement dévolues aux frères de la mère.
Vers 1960, on commença à s'intéresser aux systèmes non unilinéaires (bilatéraux ou bilinéaires), où les liens qui font un lignage passent aussi bien par la mère que par le père. Chez les Maori, d'après les études de R. W. Firth, on adopte celui de la mère ou celui du père, en fonction du lieu de résidence et de la continuité des droits fonciers.
Bien des sociétés ne connaissent pas de système de descendance déterminé. Des groupes de parenté existent, mais ils sont différents pour chaque ensemble d'enfants de mêmes parents. La parenté d'un individu, sans former un groupe à d'autres fins, peut être considérée comme responsable de ses délits. Chez les Kalinga de Luzon, en cas de meurtre, la responsabilité peut théoriquement aller jusqu'au cousin au troisième degré du meurtrier (mais, pratiquement, ne remonte pas au-delà du second degré).
La descendance est à distinguer de la capacité d'hériter de la propriété ou du droit de succession aux charges. Certains types de biens se transmettent par le père dans une société matrilinéaire ; ou bien le fils de la sœur hérite de la charge de son oncle maternel dans une société patrilinéaire. Cependant, dans les sociétés où la descendance est mal définie, succession et héritage se font normalement selon un mode patrilinéaire, car les hommes sont détenteurs d'une autorité plus grande.
Même si le lignage est déterminé par un seul côté, des liens étroits n'en sont pas moins maintenus avec ceux qui en sortent par le mariage et avec leurs rejetons : on continue de porter un vif intérêt à leur bien-être. Les liens de génération ou de parenté, quel que soit le degré de parenté et la solidarité d'un groupe de frères et sœurs, sont des régulateurs importants du comportement.
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Écrit par
- Raymond William FIRTH : professeur à l'université de Chicago
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