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ETHNIE

Critiques

Pourtant un débat souterrain n'a cessé d'agiter la sociologie et l'anthropologie sur cette question, et nombre de chercheurs n'ont pas manqué de faire état de l'inadéquation du concept d'ethnie avec la réalité qu'ils avaient été à même d'observer sur le terrain. Chez les sociologues, M. Weber a été le premier à attirer l'attention sur le danger que représentait l'utilisation de la notion de groupe ethnique en l'absence d'une analyse historique et sociologique concrète de la conscience qu'un groupe acquiert de lui-même à une époque et en un lieu donnés. Chez les anthropologues, Nadel a montré que la réalité ethnique des Nupe du Nigeria s'imbriquait dans des réalités de plus en plus vastes qui s'étendaient à l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest. Mercier, qui a subi l'influence de Nadel, est sans doute celui qui est allé le plus loin dans sa tentative de déconstruction de l'objet ethnique. À propos des Somba du Nord-Bénin, il a souligné la nécessité de resituer ce groupe dans la géographie et dans l'histoire et de l'inclure dans des cadres plus larges. Il a procédé aussi, ce qui est capital pour toute tentative de définition d'une unité sociale quelle qu'elle soit, à un inventaire du champ sémantique du terme Somba.

Barth place, pour sa part, la notion de « limite » au centre de sa démarche. Il montre que les séparations entre ethnies servent à établir des schèmes d'identification socialement signifiants et que, parallèlement, il se produit un flux continuel de populations à travers ces limites. Il ouvre ainsi la voie à une analyse des relations entre ethnies conçues comme des rapports de forces. Mais c'est dans certaines monographies que ce processus de dissolution des ethnies spécifiques a été poussé le plus loin : les travaux d'Isaac Shapera, d'Edmund Leach, de William Watson, de Claude Meillassoux, d'Emmanuel Terray et de Jean-Pierre Dozon, notamment, tendent à montrer que l'ethnie est en grande partie une création contemporaine liée à la colonisation, aux migrations vers les villes et à l'insertion dans un État moderne. Il s'agit alors de définir la nature des cadres sociaux qui s'offraient aux acteurs dans les anciennes civilisations et dans les sociétés d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine précoloniales.

À l'heure actuelle, un nombre croissant de chercheurs s'accordent sur le caractère premier des relations intersociétales. Les sociétés locales, avec leur mode de production, de redistribution, etc., loin d'être des monades repliées sur elles-mêmes, étaient intégrées dans des formes générales englobantes qui les déterminaient et leur donnaient un contenu spécifique. C'est pourquoi chaque société locale doit être conçue comme l'effet d'un réseau de relations qui, faute d'être exploré en totalité, ne saurait livrer la clé du fonctionnement de chaque élément. Cette attitude implique la définition des différents réseaux qui donnent forme aux sociétés locales, la reconnaissance de l'existence d'un développement inégal et, à terme, un changement de perspective en anthropologie consistant à expliquer le moins élaboré par le plus élaboré à l'intérieur de phylogénies spécifiques et limitées.

Dans cette optique, il faut définir une série d'espaces sociaux qui structuraient autrefois les différents continents. De façon toute formelle, on peut distinguer des espaces d'échanges, des espaces étatiques, politiques et guerriers, des espaces linguistiques et des espaces culturels et religieux. On aboutit ainsi à la définition d'unités sociales effectives qui sont les véritables sujets de l'histoire à chaque période considérée. Il s'agit, en particulier, de mettre en évidence les opérateurs qui régissent[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études en sciences sociales

Classification

Pour citer cet article

Jean-Loup AMSELLE. ETHNIE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Ethnie Akha - crédits : Sirisak Boakaew/ Moment/ getty Images

Ethnie Akha

Autres références

  • AFGHANISTAN

    • Écrit par Daniel BALLAND, Gilles DORRONSORO, Universalis, Mir Mohammad Sediq FARHANG, Pierre GENTELLE, Sayed Qassem RESHTIA, Olivier ROY, Francine TISSOT
    • 37 316 mots
    • 19 médias
    ...l'ensemble de la situation, il faut partir d'une carte des peuples, la fin du xxe siècle étant caractérisée par l'émergence généralisée des ethnies qui n'ont pu se constituer en État-nation au xixe siècle, ou qui ont été maltraitées à cette période. La carte qui représentait les implantations...
  • AFRIQUE (Structure et milieu) - Géographie générale

    • Écrit par Roland POURTIER
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    • 29 médias
    ...identités nationales relèguent au second plan la question ethnique, sauf en ce qui concerne le statut des Berbères par rapport à la majorité arabe. Tout dépend en réalité du sens que l'on donne à ce concept très controversé d'ethnie, des critères de distinction et de l'inscription...
  • AFRIQUE (conflits contemporains)

    • Écrit par René OTAYEK
    • 4 953 mots
    • 4 médias

    L'Afrique offre aujourd'hui l'image d'un continent ravagé par des conflits que l'on a vite fait de qualifier d'ethniques. Qu'il s'agisse du Liberia, de la Sierra Leone, de la Côte d'Ivoire, du Rwanda, de la République démocratique du Congo ou du Darfour...

  • ANTHROPOLOGIE RÉFLEXIVE

    • Écrit par Olivier LESERVOISIER
    • 3 448 mots
    ...l'ethnologie. La remise en cause d'un regard « exotisant » a, par ailleurs, conduit à un examen critique des concepts et notions utilisés par la discipline, en particulier celled'ethnie, discutée pour les usages primordialistes ou essentialistes dont elle a fait l'objet (Amselle et M'Bokolo, 1985).
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Voir aussi