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BERBÈRES

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L'aire historique des Berbères couvre toute l'Afrique du Nord, de l'Égypte à l'Atlantique, de la Méditerranée aux régions saharo-sahéliennes. Mais l'Algérie et le Maroc sont les pays où la présence berbère est la plus marquée et ceux où la « question berbère » se pose avec le plus d'acuité. Si les Romains les appelaient Mauri, qui donnera Maures en français, le terme Berbères est probablement un exonyme dérivé du grec Βάρβαροι et du latin Barbari, repris par les Arabes avec le même sens péjoratif initial d'« étrangers à la civilisation ».

Espace immense composé de régions géographiques très différenciées, le monde berbère est divers sur le plan des modes de vie traditionnels, des densités humaines, des cultures matérielles et des insertions géopolitiques. Cette diversité est accentuée par la fragmentation des Berbères depuis l'arabisation partielle de l'Afrique du Nord. La langue et ses expressions littéraires constituent le principal lien entre les composantes de ce monde éclaté.

Civilisation

Dominations étrangères et résistances

La question de l'origine des Berbères a fait couler beaucoup d'encre. Les auteurs grecs et latins, puis arabes et européens ont avancé les légendes les plus fantaisistes à ce sujet : origine perse, mède, cananéenne, yéménite, ibérique, celtique, germanique, grecque... La motivation idéologique de ces thèses est évidente : chaque conquérant a fait venir les Berbères d'ailleurs pour légitimer sa propre présence et sa domination en Afrique du Nord. Dans le champ scientifique, l'origine moyen-orientale a longtemps prévalu, cette région étant considérée comme le berceau du monde méditerranéen. Les tenants d'une origine africaine sont nombreux aussi et ont proposé des localisations primitives en Afrique centrale ou orientale. Mais il n'y a aucun indice positif d'un mouvement d'est en ouest ou du sud - sud-est vers le nord - nord-ouest qui pourrait conforter l'une ou l'autre de ces thèses. Au contraire, les données préhistoriques et linguistiques établissent l'ancienneté et la continuité du peuplement et de la langue berbères dans leur aire d'extension. Les Berbères ont des racines anciennes en Afrique du Nord et il est raisonnable de les considérer comme les « autochtones » de l'Afrique du Nord, avec tout ce que peut avoir de relatif cette notion.

L'histoire des Berbères apparaît comme une succession d'invasions et de dominations étrangères : celle des Phéniciens et de leurs successeurs, les Puniques, de la fin du IIe millénaire avant J.-C. jusqu'à la destruction de Carthage (– 146), celle de Rome (– 146 à + 439), celle des Vandales (439 à 533), des Byzantins (533 à 647), des Arabes qui apportent l'islam (la conquête est achevée au début du viiie siècle), celles des Turcs Ottomans (début du xvie siècle), enfin celle des puissances coloniales européennes à partir du xixe siècle. Depuis longtemps, les Berbères semblent avoir été un peuple « aux marges de l'histoire », dominé et marginalisé par les conquérants successifs. Pourtant, contrairement à bien d'autres peuples de la périphérie méditerranéenne, ils ont survécu jusqu'à nos jours. Leur société, leur culture et leur territoire recelaient sans doute des capacités de résistance exceptionnelles.

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À leur apogée, les royaumes berbères antiques (iie siècle avant J.-C. : dynasties numides et maures), subissent déjà la suprématie de Carthage. Avec l'annexion progressive par Rome (à partir de – 40), l'Afrique du Nord entre dans le giron latin pour plus de cinq siècles. L'occupation romaine a accentué le processus de refoulement aux marges des populations indigènes fidèles à leurs modes de vie. Le phénomène est net pour les périodes tardives où l'effondrement du pouvoir romain s'accompagne d'un retour de la « berbérité » jusque-là réfugiée dans les zones montagneuses et présahariennes. Ainsi, Masuna, un prince de la région de Tlemcen peut se proclamer au début du vie siècle : rex gentium romanorum et maurorum : roi des Romains et des Maures.

Après une longue résistance au viie siècle, conduite notamment par Koceila et la Kahina, la conquête arabe fait basculer l'Afrique du Nord dans l'orbite arabo-musulmane. L'islam s'impose, mais en prenant souvent la forme d'hérésies locales ou de courants sectaires (comme le kharidjisme), dans lesquels on a vu des résistances indigènes à la suprématie arabe. L'arabe se diffuse dans les villes et remplace le latin en tant que langue des élites et des cités. Plus tard, après l'arrivée de nomades arabes (invasions hilaliennes) venus du Moyen-Orient au xie siècle, l'arabe va concurrencer le berbère en milieu rural, dans les zones de plaines, de hautes plaines et de piedmonts sahariens, favorables à l'installation de ces éleveurs nomades. En cinq siècles, les progrès de l'arabisation sont tels que le berbère est éliminé dans de larges zones du Maghreb.

Principaux traits traditionnels

Il est difficile de caractériser les sociétés berbères de manière globale tant les situations locales sont spécifiques, mais on identifie quelques grands traits communs, qui expliquent pour une bonne part la résistance des groupes berbères.

Ce sont d'abord des sociétés « segmentaires » faites de l'imbrication d'entités indépendantes : famille élargie, clan (formant village en zone sédentaire), tribu, confédération de tribus. Ces entités sont identifiées comme « Descendants de X » : Ayt X, ou autres formes. Bien entendu, il s'agit d'une représentation fictive dès que l'on dépasse le niveau de la famille élargie : les grandes entités, village, tribu, confédération de tribus, sont toujours des constructions politiques agrégeant des composantes hétérogènes.

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Ce sont des sociétés sans État : à l'échelle du village, de la tribu, des assemblées détentrices de toute légitimité désignent pour une courte période un chef et ses assesseurs. On a souvent parlé de « démocratie directe » à propos des Berbères, tout adulte pouvant prendre part à l'assemblée et à ses décisions, une vision quelque peu idyllique car les femmes n'y participaient pas et le poids des plus anciens y était décisif. Parfois, au Maroc notamment, les assemblées étaient réduites aux notables (inflas). Le terme amghar, qui désigne le chef élu du village ou de la tribu, signifie d'abord ancien, vieillard ! La confédération de tribus était un ensemble lâche qui ne trouvait son unité d'action que dans les circonstances extrêmes, notamment les guerres extérieures.

Ce sont aussi des sociétés en armes. Durant des siècles, les Berbères ont été en conflit avec les pouvoirs centraux. Sociétés sans pôles de centralisation stabilisés, les groupes vivaient aussi en état de tension interne permanent. Tout homme était d'abord un guerrier prêt à défendre son groupe. La défense de l'honneur collectif (familial, tribal) ou individuel (notamment à travers le respect de la parole donnée) étaient des valeurs cardinales.

Enfin l'islam y est fortement teinté de pratiques locales, assez éloigné de l'orthodoxie sunnite des villes : le culte des saints, le maraboutisme, garde des traces importantes de paganisme ; la fidélité à des codes coutumiers entre souvent en contradiction avec le droit musulman... Sans que l'on puisse parler d'un islam berbère, la pratique religieuse présente donc de fortes spécificités qui ont toujours rendu les Berbères suspects d'hérésie aux yeux de l'islam officiel.

Les Berbères dans le monde contemporain

Au Maghreb, les Berbères sont insérés dans un environnement arabo-musulman et des États-nations qui se définissent comme tels. Marqués par un nationalisme forgé dans la lutte contre l'occupation coloniale, ces pays ne reconnaissent aucune minorité, régionale ou ethnique, en leur sein. Les Berbères ont été perçus comme un danger potentiel pour la nation et combattus comme tel, surtout en Algérie. Plus que d'une répression anti-berbère généralisée, il s'est agi, pour le Maroc et l'Algérie, d'une occultation systématique, d'un déni de réalité, qui a persisté jusqu'au milieu des années 1990.

Au Sahel, les Touaregs, autrefois dominants, sont en situation critique. Le Niger et le Mali sont des pays très pauvres et la sécheresse qui y sévit régulièrement a accéléré l'effondrement de la société de pasteurs nomades. Sur le plan politique, il existe depuis les indépendances une défiance tenace des pouvoirs à l'égard des Touaregs, considérés comme potentiellement déstabilisateurs et soumis à contrôle et à répression constants. Les révoltes touarègues se sont répétées depuis 1963, au Niger comme au Mali.

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On distinguera aussi les pays (Algérie, Maroc, Niger-Mali) qui comptent des populations berbérophones importantes, pouvant significativement peser sur les équilibres internes, et les autres (Tunisie, Libye, Égypte, Mauritanie) qui abritent des groupes berbérophones réduits, dont le poids social et politique est insignifiant. Le cas des Kabyles est frappant à cet égard : ils ont à la fois fourni une grande part des élites de l'Algérie indépendante et constitué une des principales forces d'opposition au régime politique.

La colonisation et l'intégration dans les États modernes ont remis en cause les fondements des sociétés berbères, qui ont partout subi la généralisation du salariat, les migrations internes (vers la ville) et externes (vers la France et l'Europe), la scolarisation de plus en plus généralisée (dans des langues qui ne sont pas la leur). Les Berbères ne sont plus protégés ni par la géographie ni par les formes d'organisation sociale traditionnelles.

Parallèlement, l'affirmation identitaire berbère touche désormais de larges couches dans la plupart des régions. Le phénomène a d'abord concerné la Kabylie, puis s'est étendu après les années 1970, notamment au Maroc, et prend généralement la forme d'une demande de reconnaissance de la composante berbère de la nation par l'État. Divers quant à son ampleur et à ses formes, il est particulièrement vif et constant en Kabylie depuis 1980 où il connaît des formulations politiques qui vont jusqu'à la revendication d'une large autonomie.

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Devant cette poussée, l'Algérie puis le Maroc ont progressivement assoupli leur position et sont passés de l'hostilité à la tolérance contrôlée, puis à une prise en charge mesurée. Dans les deux pays, la berbérité est désormais acceptée comme composante du patrimoine culturel national et des institutions ont été chargées de sa promotion. En Algérie, le berbère est même devenu depuis 2002 seconde langue nationale à côté de l'arabe qui reste « langue officielle et nationale ».

La situation globale des Berbères reste incertaine et tout pronostic quant à leur avenir doit être avancé avec prudence. Les facteurs anciens de résistance ont en général disparu et les éléments qui fondent la possibilité d'une survie berbère sont réels, au moins dans des pays comme l'Algérie, le Maroc, le Niger et le Mali. La disparition annoncée des Berbères et de leur langue n'a rien d'inéluctable.

— Salem CHAKER

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Écrit par

  • : professeur de langue berbère à l'université de Provence
  • : directeur d'études retraité de l'École pratique des hautes études, section des sciences historiques et philologiques, Sorbonne, Paris, correspondant de l'Institut de France (Académie des inscriptions et belles-lettres), membre étranger de l'Académie royale des Pays-Bas.
  • : directrice de recherche honoraire au CNRS

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