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ETHNIE

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Paradigmes ethniques et conversions identitaires

Si l'on accepte l'idée selon laquelle il existe une continuité dans le tissu qui unit les différentes sociétés d'un ensemble donné, chacune d'entre elles étant conçue comme le point ultime de tout un réseau de rapports de forces, on est conduit à admettre l'existence de « chaînes de sociétés » à l'intérieur desquelles les acteurs sociaux se meuvent. Ces derniers, en fonction de la place qu'ils occupent dans les différents systèmes sociaux, sont à même de circonscrire dans la langue une série d'éléments signifiants ou de « sèmes » qui, par une série de transformations successives, donneront naissance à un « paradigme ethnique ».

On est ainsi confronté aux problèmes de l'« attribution » et de l'« identification ethnique » tels que les a bien analysés Barth : un acteur social, en fonction du contexte où il se trouve, opérera à l'intérieur du corpus catégoriel mis à sa disposition par la langue un choix d'identification. Celui-ci pourra lui-même changer et l'on aboutira ainsi à des tableaux de transformation et de conjugaison. L'existence de tels corpus catégoriels et les conversions identitaires qu'ils permettent sont l'indice le plus probant de l'existence de ces « chaînes de sociétés » et le signe que les stratégies sociales se produisaient à l'échelle de vastes régions. Plutôt que d'envisager les frontières ethniques comme des limites géographiques, il faut les considérer comme des barrières sémantiques ou des systèmes de classement, c'est-à-dire, en définitive, comme des catégories sociales.

L'ethnie apparaît ainsi comme étant une construction identitaire élaborée par une population donnée et cela en parfaite continuité avec des notions voisines comme celles de race, de clan ou de lignage, dont on trouve des équivalents dans les langues des sociétés exotiques. Ces constructions identitaires permettent le regroupement d'agents sous la fiction d'une appartenance ou d'une descendance communes. Ainsi, les patronymes, les noms de clan ou de lignage et les ethnonymes peuvent être considérés comme une gamme d'éléments que les acteurs sociaux utilisent pour affronter les différentes situations politiques qui se présentent à eux. De ce point de vue, il n'existe pas d'ethnie, au sens où ce terme désignerait des entités homogènes racialement, culturellement et linguistiquement : au contraire, ce qui prévaut toujours, ce sont des unités sociales inégales et hétérogènes quant à leur composition. L' ethnonyme est ainsi un signifiant qui peut recevoir plusieurs signifiés ; son utilisation par un locuteur contribue à créer les différents groupes sociaux.

C'est pourquoi opposer telle signification d'un ethnonyme à telle autre n'a pas grand sens tant que n'a pas été établie la liste complète des usages sociaux d'un même terme. Un ethnonyme peut recevoir une multitude de sens en fonction des époques, des lieux et des situations sociales retenus : s'attacher à l'un de ces sens n'est pas condamnable ; ce qui l'est, c'est d'affirmer que ce sens est unique ou que la série de sens qu'a revêtue la catégorie est achevée (fondamentalisme ethnique, racisme).

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études en sciences sociales

Classification

Pour citer cet article

Jean-Loup AMSELLE. ETHNIE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Média

Ethnie Akha - crédits : Sirisak Boakaew/ Moment/ getty Images

Ethnie Akha

Autres références

  • AFGHANISTAN

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    ...l'ensemble de la situation, il faut partir d'une carte des peuples, la fin du xxe siècle étant caractérisée par l'émergence généralisée des ethnies qui n'ont pu se constituer en État-nation au xixe siècle, ou qui ont été maltraitées à cette période. La carte qui représentait les implantations...
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    L'Afrique offre aujourd'hui l'image d'un continent ravagé par des conflits que l'on a vite fait de qualifier d'ethniques. Qu'il s'agisse du Liberia, de la Sierra Leone, de la Côte d'Ivoire, du Rwanda, de la République démocratique du Congo ou du Darfour...

  • ANTHROPOLOGIE RÉFLEXIVE

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    ...l'ethnologie. La remise en cause d'un regard « exotisant » a, par ailleurs, conduit à un examen critique des concepts et notions utilisés par la discipline, en particulier celled'ethnie, discutée pour les usages primordialistes ou essentialistes dont elle a fait l'objet (Amselle et M'Bokolo, 1985).
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