HUMAIR DANIEL (1938- )

Compositeur et peintre reconnu, Daniel Humair reste avant tout l'un des batteurs les plus inventifs que le Vieux Continent ait offert au jazz. De Stéphane Grappelli à Eric Dolphy, il a joué avec d'innombrables solistes – à l'exception de Miles Davis et de Sonny Rollins, fait-il lui-même remarquer – grâce à une manière originale et virtuose dont la trame originelle est héritée à la fois de Tony Williams et d'Elvin Jones.

Daniel Humair naît à Genève, en Suisse, le 23 mai 1938. Dès l'enfance, il étudie la clarinette et la théorie musicale ; selon ses dires, il aurait eu son premier contact avec un tambour dès l'âge de sept ans, au sein d'une fanfare genevoise. Il s'intéresse adolescent au dixieland (ainsi qu'au cor des Alpes !), avant de découvrir le jazz « moderne ». C'est vers dix-huit ans qu'il débute sa vie professionnelle, après avoir remporté en 1955 le premier prix dans trois catégories amateurs au Festival de jazz de Zurich. Il commence à se produire au-delà des frontières de la Confédération helvétique, notamment en Belgique, en Suède et en Allemagne. Autodidacte, il forge son métier au contact de personnalités issues d'horizons divers, effectuant des tournées en compagnie de Don Byas, Guy Lafitte, Jacques Pelzer, Floris Nico Bunink... En novembre 1958, il s'installe à Paris, où il va travailler avec Bobby Jaspar (1958-1959, puis 1962), au sein d'un quartette dirigé par Michel Hausser (1958-1960, puis 1966), avec Barney Wilen, Lucky Thompson, Kenny Dorham, Jackie McLean, Bud Powell, Oscar Petitford, Chet Baker (lors d'une tournée européenne de ce dernier, en 1962), Eric Dolphy... Pendant plus d'une décennie, Daniel Humair sera l'un des batteurs les plus sollicités pour donner la réplique aux solistes américains de passage à Paris, en particulier au Club Saint-Germain, et accompagner leurs tournées.

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Il forme un premier trio dénommé HUM – les initiales de ses membres servant d'enseigne –, qui rassemble autour de lui le pianiste René Urtreger et le contrebassiste Pierre Michelot (1960-1961) ; citons l'album HUM (1960). En 1959 avait commencé une fructueuse et longue collaboration avec le pianiste Martial Solal, qui donnera le jour à de nombreux albums, parmi lesquels Dermaplastic (1960), Suite en ré bémol (1961) et Suite for Trio (1978). Il publie, en 1961, un premier album sous son nom, The Connection, où il est accompagné par Jean-Louis Chautemps, Eddy Louiss, Guy Pedersen, Sonny Grey et Luis Fuentes. Il est appelé en 1965 par les Swingle Singers, qui connaissent alors un immense succès en introduisant le swing dans des partitions classiques. Son parcours se poursuit au gré des rencontres les plus diverses : les Double Six, Elek Bacsik, Attila Zoller, Bud Powell, Oscar Petitford, Jim Hall, Lee Konitz, Art Farmer, Joe Henderson, Dexter Gordon, Johnny Griffin, Herbie Mann, Hampton Hawes, Ray Nance, Barney Kessel... En 1968, il réunit au Caméléon un nouveau trio, HLP, avec Eddy Louiss et Jean-Luc Ponty (Trio HLP, 1968). La même année, Phil Woods l'engage dans son quartette European Rhythm Machine, où il est aux côtés de George Gruntz (et plus tard de Gordon Beck) et d'Henri Texier ; l'aventure durera quatre ans, jusqu'en 1972 (Alive and Well in Paris, 1968). Il fréquente néanmoins les tenants d'un jazz plus radical : Don Cherry, Anthony Braxton, George Lewis, John Surman... Sa vaste discographie reflète des associations aussi variées – Michel Portal, Ron Matthewson, Franco Ambrosetti (Wings, 1983 ; Tentets, 1985), Jerry Bergonzi et Miroslav Vitous (Edges, 1991), Dave Liebman et Marc Ducret (Quatre fois trois, 1996-1997), Claude Bolling, Steve Lacy, Bernard Lubat, Gerry Mulligan, Didier Lockwood, Niels-Henning Ørsted Pedersen, Dee Dee Bridgewater, John Scofield, Richard Galliano – qu'improbables parfois : Maurice André, Yo-Yo Ma, François Rabbath, Jean-Pierre Rampal. Avec le vibraphoniste David Friedman, il enregistre en leader Triple Hip Trip (1979).

En 1987, Daniel Humair obtient le grand prix du jazz décerné par la S.A.C.E.M., le prix Charlie-Parker de l'Académie du disque et le prix in honorem de l'Académie Charles-Cros pour l'ensemble de sa carrière. Il concentre néanmoins son activité d'interprète et de compositeur sur les deux trios qu'il anime successivement : le trio HJT, à la fin des années 1970, avec François Jeanneau et Henri Texier, le second de 1984 à 1998, avec Joachim Kühn et Jean-François Jenny-Clark. Le premier grave notamment les albums Humair, Jeanneau, Texier (1979) et Akagera (1980), le second Easy to Read (1985), Usual Confusion (1993), Die Dreigroschenoper (1995), Triple Entente (1997). Après plus d'un demi-siècle d'une carrière particulièrement riche, Daniel Humair se montre soucieux de promouvoir une nouvelle génération de musiciens. Il fait découvrir de jeunes talents comme le guitariste Noël Akchoté (Zurich, 1993). En 1998, il fonde dans la même perspective un ensemble, Baby Boom, constitué d'instrumentistes frais émoulus de la classe de jazz du Conservatoire de Paris.

Gaucher naturel devenu parfaitement ambidextre, Daniel Humair a développé un style très personnel avec un placement inhabituel des éléments constitutifs de la batterie. Les musiciens en provenance des univers les plus opposés apprécient, outre une capacité d'adaptation hors norme, la puissance, l'élégance et l'intelligence de son jeu. Impressionnant à force d'habileté et de contrôle technique, il montre une grande maîtrise de la continuité rythmique, même lorsque le tempo devient un fondement implicite et que la distribution de ses accents atteint une complexité rare. Il réalise, ce qui est peu fréquent dans le monde de la batterie, un travail extraordinaire sur les timbres et les couleurs : plus qu'un batteur, Daniel Humair est sans conteste l'un des percussionnistes les plus importants de son temps.

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On pourra lire deux articles d'Alain Gerber (« Daniel Humair ou le défi européen », in Jazz Magazine, no 182, p. 26, 1970 ; « Une batterie à tout prix », in Jazz Magazine, no 282, p. 40, 1980), une série d'articles de Jean-Pierre Moussaron (« Humair à découvert », in Jazz Magazine, no 346, p. 18, no 347, p. 34, no 348, p. 12, 1986) et un article de Serge Baudot (« Daniel Humair », in Jazz Hot, no 573, p. 15, 2000).

— Pierre BRETON

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