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CORAN (AL-QURĀN)

L'exégèse du Coran

Les grands moments de la mise en place des règles d'interprétation dans une école philosophique ou religieuse sont aussi des étapes essentielles dans l'élaboration de sa pensée et de son savoir. Il est donc essentiel de tenter de reconstituer la genèse du mouvement exégétique en islam, même si, en l'état actuel de la recherche, quelques chaînons de l'évolution de ce mouvement nous échappent encore.

L'exégèse coranique en son état « classique »

Pour ce faire, on partira de l'organisation interne d'un commentaire coranique de l'époque classique qui a la faveur des milieux sunnites, celui de Tabari (mort en 310/923) ; puis on étudiera quelques-unes des étapes qui ont abouti à une telle synthèse. Cette somme exégétique, L'Exposition complète sur l'interprétation des versets coraniques, comporte des éléments multiples, dont, en premier lieu, des explications grammaticales et lexicales (avec des citations poétiques ou des emprunts à des parlers arabes particuliers contenant des termes ou des expressions considérés comme équivalents à ceux qui sont examinés dans le Coran) ainsi que des analyses de la syntaxe désinentielle en relation avec la sémantique textuelle. On y trouve, en deuxième lieu, des notations stylistiques et rhétoriques, illustrées elles aussi par des citations poétiques. Le troisième élément est constitué par des variantes puisées dans la tradition et transmises par des « lecteurs » du Coran qui font autorité. Ces variantes sont retenues ou écartées, en fonction de critères « linguistiques », mais surtout de leur réception ou de leur rejet par la « majorité des lecteurs » (cette notion de majorité n'est pas numérique, elle repose sur une autorité qui s'est imposée progressivement ; c'est donc une « majorité savante », reçue dans les milieux lettrés, non sans des divergences et oppositions). Il arrive que, même lorsqu'elles sont écartées, de telles variantes soient retenues à des fins exégétiques, pour confirmer une interprétation ou une explication grammaticale. L'Exposition de Tabari contient, en quatrième lieu, des traditions historico-« mythiques » introduites par des chaînes de garants et censées remonter au Prophète, à des Compagnons du Prophète, à des Successeurs (c'est-à-dire à la génération qui a connu des Compagnons de Muḥammad) ou à des savants postérieurs qui font autorité. On y trouve encore des explications juridiques puisées dans la tradition des grandes écoles de droit ou dans celles de juristes qui passent pour des autorités probantes (ḥuǧǧa), puis des explications théologiques ou des réfutations des thèses de groupes qualifiés de sectaires (firaq), enfin les indices des choix et préférences de l'exégète lui-même, selon ce qui, pour lui, est l'interprétation du consensus des savants et la « lettre » du texte (ẓāhir at-tilāwa).

Malgré son apparence éclatée, l'ensemble de cette somme fonctionne comme une Tradition vivante. Son auteur, en effet, retient et écarte tel ou tel élément en vertu d'axiomes qui sont à la base de la rationalité de la « communauté » et dont une première série est puisée dans les représentations linguistiques du groupe. Comme le Coran dit de lui-même qu'il a été révélé « dans une langue arabe claire », les grammairiens et les théologiens se sont appliqués à mettre en valeur l'excellence de la langue arabe – qui, selon eux, est supérieure à toutes les langues – et la précellence linguistique du Coran, miracle divin s'il en est. Une connaissance positive, la philologie, est ainsi mise au service d'une thèse théologique : l'inimitabilité du Coran. Tabari prend position à ce sujet dès l'introduction de son commentaire en déclarant que les qualités littéraires et stylistiques qu'il[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-I, directeur d'études à l'École pratique des hautes études
  • : agrégé d'arabe, docteur ès lettres, professeur à l'université de Provence

Classification

Pour citer cet article

Régis BLACHÈRE et Claude GILLIOT. CORAN (AL-QURĀN) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Coran, manuscrit - crédits : DeAgostini/ Getty Images

Coran, manuscrit

Autres références

  • ADOPTION

    • Écrit par Pierre MURAT
    • 8 894 mots
    ...la loi française exclut désormais l'adoption des enfants originaires des pays musulmans, à l'exception de la Tunisie, de la Turquie et de l'Indonésie. Le verset 4 de la Sourate 33 du Coran énonce en effet « Dieu n'a pas mis deux cœurs à l'homme ; il n'a pas accordé à vos épouses le droit de vos mères,...
  • ‘AMR

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    En effet, dans le texte reçu, celui de la Vulgate établie sous le calife Othman, le Coran est articulé dans une langue très proche (si même elle n'est pas identique) de celle des documents en « arabe ancien » et de la poésie. Or le Coran n'est que la parole divine recueillie textuellement par le Prophète....
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    • 29 245 mots
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    ...La poésie est la seule forme d'écriture qui accompagne sans discontinuité le destin culturel arabe. Seule à le constituer avant la révélation du Coran, perdant son hégémonie mais gardant le prestige du verbe inspiré lors de la mise en place de la culture islamique, elle accumule un ensemble énorme...
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Voir aussi