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CONNAISSANCE

Sociologie de la connaissance

Longtemps, l'histoire de la pensée (religieuse, philosophique, scientifique, artistique ou autre) a présenté les idées et les connaissances comme découlant essentiellement d'idées et de connaissances antérieures. Proposant une généalogie homogène sur le plan des idées, les auteurs de ces histoires ne songeaient pas à relier les idées d'un Descartes ou d'un Newton à leur position sociale ou au type de société dans laquelle ils vivaient. Cette dernière approche n'émergera clairement qu'au milieu du xixe siècle, même si des philosophes des Lumières offriront une première analyse des déterminations sociales de la pensée religieuse. C'est Karl Marx qui posera explicitement les premiers fondements d'une « sociologie de la connaissance », terme qui ne fera cependant son apparition qu'en 1924, sous la plume de Max Scheler. Il affirme en effet, dès 1847, dans Misère de la philosophie, que les « hommes, qui établissent les rapports sociaux conformément à leur productivité matérielle, produisent aussi les principes, les idées, les catégories, conformément à leurs rapports sociaux. Ainsi ces idées, ces catégories sont aussi peu éternelles que les relations qu'elles expriment. Elles sont des produits historiques et transitoires ». Il s'ensuit que la conception du monde d'un prolétaire sera différente de celle d'un bourgeois ou d'un propriétaire foncier, et que celle de l'homme médiéval sera différente de l'homme de la Renaissance ou du monde moderne.

Encore schématique, cette première théorie des idéologies selon laquelle les idées que les agents sociaux se font de la réalité sont déterminées directement par leur position dans la structure sociale, elle-même divisée en classes, sera développée de plus en plus systématiquement au cours du premier tiers du xxe siècle. On précisera mieux les types de connaissances, qui peuvent ainsi s'expliquer par des variables sociales en tenant compte d'intérêts sociaux autres que la simple appartenance de classe. De l'analyse générale des idéologies, on passera ainsi à des études plus spécifiques des différents types de savoirs.

L'historicisation des catégories kantiennes

Thomas Kuhn - crédits : Bill Pierce/ The LIFE Images Collection/ Getty Images

Thomas Kuhn

Dans son projet de fonder l'autonomie de la sociologie par rapport à la psychologie et la philosophie, Émile Durkheim apporte une contribution majeure à la sociologie de la connaissance en s'attaquant aux catégories les plus fondamentales de l'entendement et de la sensibilité (temps, espace, nombre, cause, substance, etc.) et de la pensée logique. Jusque-là domaine réservé aux philosophes qui les considéraient comme étant soit a priori (comme chez Kant), c'est-à-dire préalables à toute expérience possible, soit d'origine empirique (comme chez Locke et Hume) et résultant des sensations, les catégories de pensée sont présentées par Durkheim comme étant d'origine sociale et ayant donc un caractère historique tout comme les sociétés qui en sont le fondement. Ainsi, « c'est le rythme de la vie sociale qui est à la base de la catégorie de temps ; c'est l'espace occupé par la société qui a fourni la matière de la catégorie d'espace ; c'est la force collective qui a été le prototype du concept de force efficace, élément essentiel de la catégorie de causalité », écrit-il dans Les Formes élémentaires de la vie religieuse.

Assisté de son neveu Marcel Mauss, Durkheim proposa d'abord, au tout début du xxe siècle, une analyse détaillée de « quelques formes primitives de classification » en rassemblant les travaux des ethnologues sur les civilisations les plus anciennes. Fortement influencé par Auguste Comte, Durkheim présente l'évolution de l'humanité comme un processus de complexification croissante des catégories[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Washington (États-Unis)
  • : professeur d'histoire et de sociologie des sciences, université du Québec à Montréal (Canada), directeur scientifique de l'Observatoire des sciences et des technologies (OST)
  • : professeur émérite à l'université catholique de Louvain (Belgique)

Classification

Pour citer cet article

Michaël FOESSEL, Yves GINGRAS et Jean LADRIÈRE. CONNAISSANCE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Thomas Kuhn - crédits : Bill Pierce/ The LIFE Images Collection/ Getty Images

Thomas Kuhn

Autres références

  • ABSTRACTION

    • Écrit par Alain DELAUNAY
    • 906 mots

    Terme qui renvoie à tout au moins quatre significations, à la fois indépendantes les unes des autres et pourtant reliées par un jeu de correspondances profondes.

    Un sens premier du mot abstraction est le suivant : négliger toutes les circonstances environnant un acte, ne pas tenir compte...

  • ABŪ L-HUDHAYL AL-‘ALLĀF (752-842)

    • Écrit par Roger ARNALDEZ
    • 792 mots

    Premier grand penseur de la théologie mu‘tazilite, disciple indirect de Wāṣil b. ‘Atā', Abū l-Hudhayl al-‘Allāf est né à Baṣra et mort à Sāmarā. S'étant initié à la philosophie, il s'oppose vivement aux « physiciens » matérialistes, la dahriyya, qui...

  • AGNOSTICISME

    • Écrit par Henry DUMÉRY
    • 226 mots

    Terme créé en 1869 par un disciple de Darwin, T. H. Huxley (1825-1895). Il devrait signifier le contraire de gnosticisme, c'est-à-dire le refus d'une connaissance de type supérieur (procédés d'explication suprarationnels). En fait, « agnosticisme » a eu à l'origine un sens précis :...

  • AGNOTOLOGIE

    • Écrit par Mathias GIREL
    • 4 992 mots
    • 2 médias
    ...trouve des termes précurseurs, notamment au xixe siècle chez James Frederick Ferrier (agnoiology), qui entendait baliser à côté de la théorie de la connaissance une « théorie de l’ignorance », mais l’entreprise resta embryonnaire. L’usage actuel s’est développé principalement depuis la fin du ...
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Voir aussi