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EASTWOOD CLINT (1930- )

La guerre-spectacle

Clint Eastwood - crédits : Murray Close/ Sygma/ Sygma/ Getty Images

Clint Eastwood

Peintre de l’Amérique, de sa culture musicale (Bird ; Jersey Boys, 2014), de ses mythes et de son histoire (J. Edgar, 2011, sur le directeur du FBI J. Edgar Hoover), Clint Eastwood ne pouvait contourner un genre où s’affrontent à la fois la violence individuelle et l’établissement de la loi, avec leurs justifications respectives : le film de guerre, un des genres majeurs du cinéma hollywoodien. Il l’aborde en 1986 avec Heartbreak Ridge (Le Maître de guerre) alors que règne la mauvaise conscience américaine à l’égard du Vietnam. Il le fait dans l’esprit d’un Raoul Walsh ou d’un Samuel Fuller autrefois. Son héros est un vétéran, Tom Highway, ivrogne et déchu, amené à entraîner un commando de marines. Il s’agit essentiellement pour lui de leur inculquer ses propres principes : « Improviser, s’adapter, se surpasser ». Car chacun, dit-il, est capable d’héroïsme, même le plus froussard. Le commando s’illustrera dans la prise de l’île de la Grenade. Mais s’il s’agit d’abord de libérer des otages américains, en arrière-plan le film ne cache pas le caractère douteux de cet épisode guerrier, rappelant l’inutilité de la guerre de Corée et l’échec de celle du Vietnam. Lorsque, à la fin du Maître de guerre, les survivants du commando sont accueillis en héros par leur famille, Eastwood utilise à la fois des images d’archives et filme parfois en caméra portée, rappelant combien le genre du film de guerre est un produit de propagande où le spectacle se substitue à la réalité des combats.

Ce sera le thème même du diptyque (produit avec Steven Spielberg) que propose Eastwood en 2006 et 2007 avec Flags of Our Fathers (Mémoires de nos pères) et Lettersfrom Iwo Jima (Lettres d’Iwo Jima). Le premier, où l’on suit les soldats américains lors de la prise de l’île d’Iwo Jima qui marqua en 1945 la fin de la guerre du Pacifique, a pour élément central l’utilisation d’une photographie célèbre de Joe Rosenthal. On sait aujourd’hui que le geste triomphal des soldats hissant le drapeau américain au sommet de l’île a été mis en scène pour la photo. Eastwood ne cherche pas à dénoncer une supercherie. Il met en évidence la nécessité de cette propagande commémorative, avec ce qu’elle entraîne de mauvaise conscience chez ceux qui y ont participé. Leurs souvenirs renvoient à ce que fut vraiment la guerre de chacun. Mémoires de nos pères décrit la fabrication du héros, et celle de « mémoires » qui ne sont justement pas celles de « nos pères ».

Si ce premier volet a été apprécié, le second, Lettres d’Iwo Jima, filmé du côté des Japonais, a semblé à beaucoup aussi peu spectaculaire que nécessaire, puisqu’on n’y trouvait pas de correspondances évidentes avec ce que montrait le premier film. Pourtant, la pauvreté des moyens du second volet propose une première correspondance capitale : la « victoire » d’Iwo Jima apparaît comme une imposture dès que l’on prend en compte la faiblesse des moyens militaires des Japonais face à la puissance en matériel et en hommes des Américains. De cette différence de moyens financiers entre les deux films découle leur dissemblance esthétique… Autre opposition : si c’est la société du spectacle qui fabrique indirectement des héros du côté américain, c’est la puissance d’une structure sociale et religieuse qui exige de l’autre d’inutiles sacrifices.

Quelques années plus tard, American Sniper (2014) apparaît comme un retour à la thématique traditionnelle : ici, les exploits d’un tireur d’élite, Chris Kyle, surnommé « The Legend » en raison de l’efficacité quasi absolue de ses tirs. Mais le contexte n’est plus celui du Maître de guerre : l’action se déroule lors de la seconde guerre d’Irak et le héros est étroitement inspiré du vrai Chris Kyle. Après les attentats du 11 septembre 2001 et la[...]

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

Classification

Pour citer cet article

Joël MAGNY. EASTWOOD CLINT (1930- ) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Impitoyable, C. Eastwood. - crédits : Everett Collection/ Bridgeman Images

Impitoyable, C. Eastwood.

Magnum Force, T. Post - crédits : FilmPublicityArchive/ United Archives/ Getty Images

Magnum Force, T. Post

Clint Eastwood - crédits : Murray Close/ Sygma/ Sygma/ Getty Images

Clint Eastwood

Autres références

  • GRAN TORINO (C. Eastwood)

    • Écrit par Christian VIVIANI
    • 988 mots

    Clint Eastwood a assigné une place particulière à Gran Torino (2008). Il a annoncé que ce serait, irrévocablement, sa dernière prestation en tant qu'acteur. Par ailleurs, le film paraît reprendre la thématique de la justice expéditive telle qu'elle s'exprimait dans L'Inspecteur...

  • MÉMOIRES DE NOS PÈRES et LETTRES D'IWO JIMA (C. Eastwood)

    • Écrit par Laurent JULLIER
    • 1 196 mots

    À compter du 19 février 1945, une bataille de trente-quatre jours opposa dans l'île d'Iwo Jima trois divisions de marines à des soldats japonais cinq fois moins nombreux. Les deux parties en présence savaient que l'île, située à quelque 1 200 kilomètres au sud de Tōkyō, constituerait la base idéale...

  • MILLION DOLLAR BABY (C. Eastwood)

    • Écrit par Jean-Pierre JEANCOLAS
    • 952 mots

    Clint Eastwood a eu soixante-quinze ans en 2005, quelques mois après avoir reçu à Hollywood, pour Million Dollar Baby, les deux oscars les plus prestigieux, ceux du meilleur film et du meilleur réalisateur. Acteur depuis les années 1950, aux États-Unis puis en Italie où on l'avait remarqué dans...

  • MILLION DOLLAR BABY (C. Eastwood), en bref

    • Écrit par Arnaud BALVAY
    • 275 mots

    Million Dollar Baby est un film réalisé par Clint Eastwood. Clint Eastwood s'est d'abord fait connaître en tant qu'acteur (à partir de 1954), notamment pour ses nombreux rôles de cow-boy solitaire (Le Bon, la Brute et le Truand, Pour une poignée de dollars) et de dur à cuire (...

  • CINÉMA (Aspects généraux) - Histoire

    • Écrit par Marc CERISUELO, Jean COLLET, Claude-Jean PHILIPPE
    • 21 694 mots
    • 41 médias
    ...alterner facilité et profondeur, maîtrise et prise de risque (Crimes et délits, 1989 ; Harry dans tous ses états, 1997 ; Match Point, 2005). Quant à Clint Eastwood, né en 1930, son œuvre récente a su gagner en ampleur tragique (Mystic River, 2003 ; Million Dollar Baby, 2004) sans jamais perdre...
  • ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - Le théâtre et le cinéma

    • Écrit par Geneviève FABRE, Liliane KERJAN, Joël MAGNY
    • 9 328 mots
    • 11 médias
    ...de Michael Cimino (1980), dont l'innovation sur le plan du récit dérouta au point d'en faire le plus gros échec commercial de la période. Clint Eastwood, acteur et réalisateur, joue de la tradition en créant un héros légendaire, baroque et excessif (Josey Wales hors-la-loi, 1976 ; Pale...
  • HAGGARD MERLE (1937-2016)

    • Écrit par Gérard HERZHAFT
    • 808 mots

    Merle Haggard fut une des dernières superstars incontestées de la country music. Et ses innombrables disques d'or ne l'ont jamais empêché de dire sans détour ce qu'il pensait. Ses critiques acerbes du Nashville sound – le « son de Nashville », système de production tirant la country...

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