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GRAN TORINO (C. Eastwood)

Clint Eastwood a assigné une place particulière à Gran Torino (2008). Il a annoncé que ce serait, irrévocablement, sa dernière prestation en tant qu'acteur. Par ailleurs, le film paraît reprendre la thématique de la justice expéditive telle qu'elle s'exprimait dans L'Inspecteur Harry (1970, Don Siegel), à l'origine de la mythification d'Eastwood. Une page se tourne, mais surtout une carrière d'acteur et de cinéaste propose son évolution à la réflexion des spectateurs.

Un vétéran de l'armée américaine, réactionnaire et raciste, est le témoin de l'agression de sa jeune voisine chinoise par un gang du quartier. Il va se laisser peu à peu gagner par l'amitié pour la famille asiatique qu'il ignorait jusque-là. Sujet simple, qui se prêtait aux dérapages sécuritaires autant qu'à la sentimentalité facile, Gran Torino esquive toutes ces embûches avec une élégance virtuose. Ce qui paraissait initialement être un de ces « petits films » qu'Eastwood a souvent aimé intercaler entre deux œuvres majeures acquiert le statut ambitieux d'œuvre testamentaire.

Il est vrai que ses films ont renoncé à cette alternance. D'une qualité constante, d'un classicisme sans âge, ils imposent à la fois l'énergie créatrice du réalisateur (alors que la plupart de ses pairs choisissent, contraints ou de leur plein gré, la retraite) et la vaste réflexion de l'homme et de l'artiste sur la violence, la mort, la fin des choses et des êtres. Mystic River (2003), Million Dollar Baby (2005), Mémoires de nos pères (2006), Lettres d'Iwo-Jima (2007), L'Échange (2008) et, maintenant, Gran Torino constituent autant d'étapes d'un ensemble dont la mélancolie pourrait être la tonalité dominante.

Walt Kowalski, vieillard taciturne qui, les dents serrées, exprime sa misanthropie par le râle et le rugissement, est l'ultime figure de la lassitude dans une œuvre qui en compte de mémorables. L'acteur Eastwood se situe ici dans une longue lignée de l'incarnation mélancolique propre au cinéma américain, aux côtés de Gary Cooper, de Humphrey Bogart ou du Sterling Hayden de Johnny Guitar. La subtilité de Gran Torino réside dans sa continuelle sollicitation de la mémoire du spectateur : à mesure que le film avance vers un dénouement inéluctable, notre souvenir évoque l'humour de certains passages en les nuançant de gravité, ou encore la simplification de certains stéréotypes dont il découvre qu'elle n'était que de surface. Walt Kowalski n'est pas seulement une version étoffée et tardive du mythe d'Eastwood : il a bel et bien toujours existé derrière la hargne fascisante de l'inspecteur Harry Callahan. Et le destin tragique du vieillard justifie la tentation christique qui courait en filigrane dans la figure impure du policier à la justice parfois expéditive.

Il est cependant décrit et joué comme un homme pétri de préjugés : en cela, l'éveil de sa conscience marquera son arrêt de mort. L'abandon d'une voiture de collection (qui donne son titre au film), son plus cher trésor, sera son rachat. Sans dévoiler le retournement final de situation, on pressent dès les premières images l'existence d'un malaise derrière la peinture attendrie d'une Amérique de banlieues et de barbecues ensoleillés. Aucune nostalgie, mais le grignotement inexorable du temps, ce qui était déjà le sujet d'Un monde parfait (1993) ou de Sur la route de Madison (1995).

Eastwood est considéré, à juste titre, comme le dernier cinéaste classique américain. Comme chez John Ford, sa mise en scène insiste sur la pertinence et la lisibilité du cadrage. Elle refuse le montage rapide, les ralentis ou les accélérés. Le dialogue est laconique, avec des plages importantes en chinois non sous-titré. C'est donc la durée d'un plan, la profondeur[...]

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Écrit par

  • : historien du cinéma, professeur émérite, université de Caen-Normandie, membre du comité de rédaction de la revue Positif

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Pour citer cet article

Christian VIVIANI. GRAN TORINO (C. Eastwood) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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