Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

BLASPHÈME

  • Article mis en ligne le
  • Modifié le
  • Écrit par

Les lois contre le blasphème face à la liberté d’expression

Liberté d’expression et blasphème devant les juridictions nationales

En Irlande, la Constitution exigeait depuis 1937 la répression du blasphème (article abrogé par référendum en 2018), tandis que la Constitution de la Grèce, où la loi contre le blasphème a été abolie en 2019, prévoit encore la possibilité de saisir les documents qui offensent une religion. Mais dans les pays où il est réprimé, le blasphème est en général visé par la loi, et non par la Constitution. Aussi peut se poser la question de la conformité entre une telle incrimination et la Constitution, en particulier en ce qu’elle garantit la liberté d’expression.

Les jugements sur la question sont rares. Dans l’arrêt « Kalman v. Cortes », un juge fédéral américain a déclaré inconstitutionnelle, en 2010, une loi de Pennsylvanie qui interdisait l’enregistrement d’une marque dont le nom était blasphématoire ou « profanait le nom du Seigneur ». Mais les nombreux abandons récents des lois contre le blasphème ont été décidés non par des juges mais par des Parlements voire, dans le cas de la révision constitutionnelle irlandaise, par référendum. L’absence de jugements sur la conformité de ces lois à la Constitution s’explique notamment par le fait qu’elles n’étaient, à l’exception peut-être du cas grec (Fokas, 2017), guère appliquées depuis longtemps avant d’être abrogées.

Divers arguments sont avancés par ceux qui contestent la constitutionnalité de ces lois. Il faut faire un sort particulier à l’invocation du principe d’égalité, qui vise à obtenir l’élargissement de l’incrimination du blasphème dans les cas où elle ne s’applique qu’aux propos dirigés contre une religion particulière. En Italie, la loi ne visait ainsi que les propos blasphématoires contre « la divinité ou les symboles vénérés dans la religion d’État », avant que la Cour constitutionnelle ne censure cette discrimination en 1995. Au Royaume-Uni, le délit de blasphème ne concernait que les chrétiens jusqu’à son abrogation en 2008. Les tentatives de certains musulmans d’obtenir la condamnation de Salman Rushdie par la justice britannique, suite à la publication de son roman LesVersets sataniques en 1988, restèrent vaines.

Mais la plupart des griefs d’inconstitutionnalité soulevés contre l’incrimination du blasphème ne visent pas son extension mais sa suppression. Si, dans la plupart des systèmes juridiques, la liberté d’expression peut être restreinte pour protéger les droits d’autrui, certains considèrent qu’une offense aux sentiments religieux ne constitue pas un préjudice suffisant. La liberté d’expression doit protéger les propos qui choquent la sensibilité des uns ou des autres. Par ailleurs, ces lois violeraient la neutralité religieuse que certaines Constitutions, notamment en France et aux États-Unis, imposent à l’État. Elles porteraient également atteinte à la liberté de religion en gênant la critique qu’un croyant peut souhaiter exprimer vis-à-vis des autres convictions. Enfin, le caractère flou, imprécis de ces incriminations porterait atteinte au principe de légalité, à l’exigence de prévisibilité de la loi pénale. Ces imprécisions traverseraient tous les éléments de la définition des propos visés par ces lois, qu’il s’agisse de leur contenu (« insulter », « souiller le nom de Dieu »…), de leurs conséquences (« scandale », « indignation »…) ou de leur cible : comment établir avec précision les dogmes religieux dont la contestation serait blasphématoire ? En 1981, au Royaume-Uni, on a pu affirmer qu’il était « à peine exagéré de dire qu’il était impossible de savoir avant le jugement si une publication était blasphématoire ou non » (Hare, 2009). Enfin, les peines excessivement sévères prévues par certains systèmes[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Thomas HOCHMANN. BLASPHÈME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 20/07/2021

Médias

La bête de l’Apocalypse - crédits : Princeton Theological Seminary Library/ Internet Archive Book Images/ Flickr : CC0

La bête de l’Apocalypse

<it>Jésus devant Caïphe</it>, Giotto - crédits : Cameraphoto/ AKG-images

Jésus devant Caïphe, Giotto

Monument au chevalier de La Barre - crédits : History and Art Collection/ Alamy/ Hemis

Monument au chevalier de La Barre

Autres références

  • CARICATURE

    • Écrit par
    • 8 333 mots
    • 8 médias
    En septembre 2005, la publication par un quotidien danois d'un ensemble de caricatures du Prophète Mahomet provoque une violente réaction du monde musulman. En février 2006, au nom de la liberté d'expression, Charlie Hebdo prend alors l'initiative de publier à son tour ces caricatures....
  • CENSURE

    • Écrit par
    • 6 228 mots
    • 1 média
    ...contrôle tout ce que l'on veut, fût-ce immoral et dangereux pour les âmes ». C'est ainsi que L'Âge d'or (1930) de Luis Buñuel reste interdit en France jusqu'en 1981, et que son Viridiana (1961),jugé également blasphématoire, subira le même sort en Espagne, en Italie et en Suisse.
  • CHARLIE HEBDO

    • Écrit par
    • 995 mots
    • 4 médias

    Le journal Charlie Hebdo est né de l’interdiction de la publication de Hara-Kiri Hebdo en 1970.

    À la suite des événements de Mai-68, le monde du dessin de presse subit un changement radical. Le dessin d'humour était jusqu’à lors dominé par des publications familiales, à l'esprit conservateur,...

  • MUSULMAN DROIT

    • Écrit par
    • 4 398 mots
    • 2 médias
    ...important dans l'évolution des courants théologiques et juridiques musulmans. En effet, cette décision – condamner l'auteur des Versets sataniques pour blasphème – est révolutionnaire du point de vue du droit musulman. Elle étend la compétence des docteurs de la loi musulmane aux citoyens d'un État laïque,...
  • Afficher les 10 références