MUSULMAN DROIT
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On ne peut comprendre les tensions qui traversent les sociétés musulmanes au début du xxie siècle sans prendre en compte l'imbrication d'éléments hérités du passé et de nouvelles formes de pensée politique et juridique en Islam. L'histoire de la colonisation, puis de la décolonisation, la guerre froide, la transition démographique et la mondialisation ont eu des effets considérables sur les sociétés, sur les structures juridiques et sur la pensée politique du monde musulman. Après la décomposition des grands empires – au xviiie siècle pour l'empire safavide (Iran) et l'Empire moghol (Inde, Pakistan) ; à l'issue de la Première Guerre mondiale pour l'Empire ottoman –, après l'intermède des empires coloniaux français, britannique et italien, le monde musulman a été marqué par la naissance d'États modernes. À partir des années 1980 cependant, il a connu une forme nouvelle de remise en cause du cadre national, avant tout caractérisé par la diffusion d'une doxa juridique simpliste, d'origine wahhabite, qui prétend se substituer aux cadres traditionnels.
En effet, le fiqh (droit musulman), en étroite relation avec la théologie, joue un rôle fondamental en Islam. Les profondes mutations qui ont affecté les courants théologiques et politiques ces deux derniers siècles ont donc aussi ébranlé les grandes écoles juridiques musulmanes traditionnelles qui se sont construites durant les premiers siècles de l'Hégire, en fixant le droit musulman : l'école hanafite (du nom de son fondateur présumé Abu Hanifa [700 env.-767]), l'école malikite (du nom de Malik ibn Anas [env. 715-795]), l'école shafiite (du nom d'al-Shafii [767-820]), et l'école hanbalite (du nom d'ibn Hanbal [780-855]). Cette dernière, est plus connue aujourd'hui sous l'appellation de wahhabite, du nom d'ibn Abd al-Wahhab (1703-1792), un réformateur du xviiie siècle. Elle inspire de nombreux mouvements réformistes musulmans qui, depuis le xixe siècle, veulent refonder l'Umma (la communauté des croyants) sur le modèle de l'islam des premiers califes, ou « pieux ancêtres », les salaf. L'influence de ce « salafisme », qui veut débarrasser l'islam, parfois violemment, de tout ce qui ne lui semble pas conforme à la lettre coranique, ne doit pas faire oublier le substrat théologique et juridique sur lequel il tente d'imposer son influence. Sa conception de la Loi divine (sharia) concurrence en effet directement celle des grandes écoles juridiques traditionnelles.
Destruction d'un mausolée à Tombouctou, en juillet 2012
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Crédits : STR/ AFP
Structures traditionnelles de l'Islam
Les écoles juridiques musulmanes
Dans le cadre impérial qui prévaut jusqu'au début du xixe siècle, le droit musulman est territorialisé. Chaque grande aire obéit à un droit régional spécifique : le malikisme au Maghreb et en Afrique subsaharienne, le hanafisme dans l'Empire ottoman, le shafiisme sur les rivages orientaux de l'Afrique, autour de l'océan Indien et en Asie du Sud-Est, le hanbalisme, très minoritaire, dans certaines zones du Proche-Orient et de la péninsule arabique. Ces quatre grandes écoles juridiques de l'islam sunnite correspondent chacune à des courants théologiques particuliers.
Le hanbalisme constitue un courant théologique spécifique, fondamentaliste et rigoriste. Il a plusieurs traits communs avec certains mouvements protestants du christianisme. Il promeut une approche littérale du texte coranique, qu'il prend au pied de la lettre, en refuse toute interprétation allégorique, et ne se préoccupe pas des nombreuses contradictions qu'il contient : seule l'ignorance et la faiblesse de l'esprit humain les perçoivent comme des contradictions et leur interprétation est laissée à la toute-puissance divine. De nombreux juristes et théoriciens ont enrichi le hanbalisme, Taqi al-din Ahmad ibn Taymiyya (1263-1328) au xive siècle ou, au xviiie siècle, Muhammad ibn Abd al-Wahhab, dont la réforme sert de fondement théorique et juridique à la monarchie saoudienne.
Depuis le xiiie siècle, située au point de rencontre des continents africain et asiatique, l'Égypte a tenté de respecter la diversité des écoles juridiques sunnites en assurant une égale représentation de chacune d'e [...]
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Écrit par :
- Pascal BURESI : directeur de recherche au CNRS
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Pour citer l’article
Pascal BURESI, « MUSULMAN DROIT », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 25 mai 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/droit-musulman/