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ANCIEN RÉGIME

Ancien Régime et monarchie absolue

Progrès et limites de l'autorité royale

Cette situation de fait est logique. Elle découle non seulement des difficultés à maîtriser l'espace, du manque d'informations statistiques convenables (seule cette information permet d'agir sur l'économique) mais, en fin de compte, de la faiblesse de l'appareil administratif. À certains égards, on pourrait caractériser l'histoire « française » depuis l'époque carolingienne comme une série de tentatives des autorités « centrales » pour créer de nouvelles formules administratives, destinées à remplacer les anciennes qui leur échappaient. Les empires et les royaumes carolingiens avaient essayé d'utiliser la hiérarchie des hommes et des terres pour en faire un instrument de gouvernement. Solution satisfaisante, mais qui dura peu. Très vite la féodalité, combinée à la seigneurie, finit par avoir raison de l'État carolingien occidental. Les invasions avaient facilité cette désagrégation. Au xvie et au xviie siècle, les créations de la royauté capétienne des xiie et xiiie siècles avaient, elles aussi, échappé en grande partie à la monarchie. Sans doute la Curia regisa-t-elle évolué normalement, en devenant de plus en plus complexe. Mais baillis et sénéchaux ont acquis en fait une assez large indépendance. Le grand problème reste, tout au long de l'époque moderne, de prolonger l'efficacité de l'autorité royale dans les plus lointaines provinces par une représentation dévouée et efficace. La solution du fonctionnaire rétribué et amovible est de loin la meilleure. Elle est d'ailleurs logique dans une économie de plus en plus monétaire. Mais elle est aussi triplement incompatible avec l'état de choses existant. En premier lieu, elle nécessiterait des finances solides. On est loin du compte. Non seulement il faut toujours parer au plus pressé, c'est-à-dire à la politique militaire, mais c'est aussi la quadrature du cercle : des finances solides supposent un corps de fonctionnaires rompu à sa tâche. En deuxième lieu, la psychologie du temps n'admet que très progressivement la nécessité et la légitimité de la délégation du pouvoir. Au xviiie siècle encore, le thème de propagande centré sur le « despotisme ministériel », l'un des plus efficaces que l'on ait jamais inventés, s'explique en définitive par le « scandale » d'un roi n'exerçant pas lui-même son autorité. En troisième lieu, la création d'un corps de fonctionnaires au sens plein du terme eût demandé la destruction pure et simple des systèmes précédents, devenus autonomes. Sans oublier qu'il fallait tenir compte des prêteurs d'argent, et liquider les dettes de l'État envers eux. Surtout, tout cela est incompatible avec la seigneurie. Il faudra trois siècles pour que les élites sociales s'habituent à cette pensée. Car représenter le roi, sous quelque forme que ce soit, monter dans l'échelle sociale, c'était aussi, tôt ou tard, aboutir à l'acquisition d'une seigneurie.

Résistances : les « lois fondamentales du royaume », les privilèges

<it>Entrée solennelle de Louis XIV et de la reine Marie-Thérèse à Arras</it>, A. F. van der Meulen - crédits : A. F. van der Meulen/  Bridgeman Images

Entrée solennelle de Louis XIV et de la reine Marie-Thérèse à Arras, A. F. van der Meulen

Il y a plus grave encore. Définir l'Ancien Régime comme identique à la monarchie absolue, c'est perdre de vue que l'idée a mis longtemps à s'imposer, qu'elle a suscité de violentes résistances qu'elle n'a jamais pu totalement éliminer. La rude férule de Henri IV, de Richelieu, de Louis XIV, celle, plus pateline mais tout aussi efficace, d'un Mazarin, ne doivent pas faire illusion. Lorsque la protestation et la contestation politique deviennent, pour un temps, à peu près impossibles – en gros, de la génération de la Fronde à celle de la Régence – elles se camouflent sous le masque commode des controverses religieuses. Ce que les parlementaires conçoivent[...]

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Écrit par

  • : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Rennes

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Pour citer cet article

Jean MEYER. ANCIEN RÉGIME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>Entrée solennelle de Louis XIV et de la reine Marie-Thérèse à Arras</it>, A. F. van der Meulen - crédits : A. F. van der Meulen/  Bridgeman Images

Entrée solennelle de Louis XIV et de la reine Marie-Thérèse à Arras, A. F. van der Meulen

Le cardinal Mazarin - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

Le cardinal Mazarin

Le Dénombrement de Bethléem, Pieter Bruegel l'Ancien (bois, Musées royaux des beaux-arts, Bruxelles). - crédits : DeAgostini/ Getty Images

Le Dénombrement de Bethléem, Pieter Bruegel l'Ancien (bois, Musées royaux des beaux-arts, Bruxelles).

Autres références

  • ABSOLUTISME

    • Écrit par Jacques ELLUL
    • 4 286 mots

    Comme tous les concepts à plusieurs dimensions (ici politique, historique, juridique, doctrinal), le concept d'absolutisme est assez flou. Son étude présente trois sortes de difficultés portant sur l'objet lui-même.

    La première difficulté tient à ce que l'on désigne généralement par ce...

  • ARCHITECTURE (Thèmes généraux) - Architecture et société

    • Écrit par Antoine PICON
    • 5 782 mots
    ...la grandeur du prince, celle des premiers de ses sujets, puis le système descendant des conditions qui contribue à structurer les sociétés d'ordres d' Ancien Régime. « Les ordres sont dignités permanentes et attachées à la vie des hommes », écrit au début du xviie siècle le juriste Loiseau....
  • BAILLIAGES & SÉNÉCHAUSSÉES

    • Écrit par Solange MARIN
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    Ils apparaissent vers la fin du xiie siècle lorsque les baillis, d'abord itinérants, sont fixés par Philippe Auguste, roi de France, sur la portion du domaine royal où ils doivent le représenter. Cette circonscription, réunissant plusieurs prévôtés, ne prendra le nom de bailliage que quelques...

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    • Écrit par Pierre FRANTZ
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    L'audace politique de la trilogie de Figaro, et surtout celle du Mariage, n'a pas frappé que les contemporains (Danton disait qu'il avait « tué la noblesse »). C'est la valeur subversive de cette pièce qui l'a portée, contre toutes les hypocrisies de l'ordre politique et moral, à travers le ...
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