ANCIEN RÉGIME

Une tentative de centralisation bureaucratique

Ainsi, de progression en progression, en passant d'un stade régional au national, la seconde moitié du xviiie siècle voit se renforcer un type d'État bureaucratique, centralisé, qui se veut rationnel, capable d'agir en fonction d'informations sérieuses, considérées comme de véritables secrets d'État, qu'on ne peut communiquer au public ; en un mot, une bureaucratie de tendance statisticienne ou du moins préstatisticienne, agissant en vue du « bien général » défini selon ses normes. Les premiers commis de Versailles, ces inconnus, ont au moins autant d'influence que les ministres. Conception fondamentalement nouvelle, qui a demandé une longue et progressive mise en place de deux siècles.

Mais, comme son représentant type est ce pelé entre tous les galeux qu'a été, et demeure, aux yeux de l'opinion publique, l'intendant, juge-partie en toute matière fiscale au-dessous du conseil des Parties, cette évolution a été méconnue, ignorée, ou vilipendée. La peur du fisc, l'incompréhension du public, les cruautés trop évidentes de l'inquisition fiscale, les abus vrais ou supposés des fermes n'ont permis de voir dans tout cela qu'une gigantesque entreprise de soutirage d'impôts. Mais, en l'absence de cadastre, de statistiques, comment utiliser un autre procédé que l'inquisition fiscale ? La propagande des privilégiés, et surtout des parlements, rejetant tout nouvel impôt, parce qu'il les touchait eux-mêmes – l'une des plus belles escroqueries morales de l'époque – n'a pu que renforcer cet état d'esprit. Peu de gens étaient, au surplus, disposés à admettre l'inéluctable nécessité de cette évolution. L'abandon de la forme judiciaire du gouvernement lésait les parlements, la puissance administrative sapait dans ses fondements le prestige des catégories dirigeantes traditionnelles. Que l'on se remémore les imprécations fulminées par Saint-Simon contre l'impôt du dixième, cet acte impie allant contre la volonté divine et dévoilant, suprême affront, le nécessaire secret des familles (sous-entendu : possédantes). À vrai dire, les cahiers de doléances, de quelque couche de la population qu'ils soient issus, émanent d'un état d'esprit assez voisin. La facilité, la rapidité avec laquelle a été balayée toute la superstructure étatique et administrative de l'Ancien Régime au cours de la seconde quinzaine de juillet 1789 s'explique non seulement par la haine multiséculaire du fisc et de ses agents, mais encore par la volonté unanime de tous les ordres, de toutes les « classes », de faire disparaître l'« inquisition » du « despotisme ministériel », on peut traduire en clair : l'inquiétante puissance de tous ceux qui, détenant le secret des chiffres et le maniement habituel des affaires, faisaient figure de puissance mystérieuse, prête à tout sacrifier sur les autels de la Cour. Vue suprêmement injuste : la lecture, si superficielle soit-elle, de la correspondance administrative versaillaise (ou, plus exactement, de ce qu'il en reste) est l'une des meilleures initiations que l'on puisse rêver tant à la pratique administrative qu'à la compréhension de nombre de « grands problèmes ».

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Écrit par

  • Jean MEYER : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Rennes

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Pour citer cet article

Jean MEYER, « ANCIEN RÉGIME », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :

Médias

<it>Entrée solennelle de Louis XIV et de la reine Marie-Thérèse à Arras</it>, A. F. van der Meulen

Entrée solennelle de Louis XIV et de la reine Marie-Thérèse à Arras, A. F. van der Meulen

Entrée solennelle de Louis XIV et de la reine Marie-Thérèse à Arras, A. F. van der Meulen

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