FÉODALITÉ
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Dans l'histoire de la civilisation de l'Europe occidentale, la féodalité représente un moment particulier qui se caractérise par la dissolution de l'autorité publique ; elle répond à un état de la société et de l'économie fondé sur l'exploitation de la paysannerie par l'aristocratie dans le cadre de la seigneurie. À partir du ixe siècle, les relations de patronage et de dévouement personnel, qui s'étaient développées dans le privé, se sont introduites progressivement dans les structures de l'État. L'affaiblissement de la royauté en fit peu à peu la seule armature des rapports politiques. Le pouvoir de commander, de punir et de taxer les gens du commun se répartit entre de petites cellules autonomes construites autour des châteaux. Parmi les membres de l'aristocratie, l'engagement vassalique et la concession du fief servirent de cadre aux liens de subordination.
L'hommage et le serment de fidélité instituent entre le vassal et son seigneur des devoirs honorables et réciproques de non-agression et d'assistance, peu différents de ceux que déterminent entre parents les liens du sang. Le lien réunit les deux hommes leur vie durant, sauf manquement de la part de l'un ou de l'autre à ses obligations. Pour mériter le fief dont il a reçu la jouissance lors de la prestation de l'hommage, le vassal est astreint à des services, plus nettement positifs, d'aide et de conseil. Mais le réseau des clientèles demeura longtemps discontinu, et la place prépondérante qu'occupa le fief à partir du xie siècle dans la relation féodo-vassalique contribua à l'affaiblissement du lien affectif. Aussi, les institutions féodales ne parvinrent-elles pas à dégager de la violence et de l'anarchie la société aristocratique, malgré les efforts déployés par l'Église, qui s'était elle-même féodalisée, pour établir la « paix de Dieu ».
Au xiie siècle, l'autorité monarchique reprend vigueur. Toutefois, les progrès du pouvoir royal se font tout d'abord dans le cadre des institutions féodales, qui peu à peu prennent plus de rigueur ; elles s'organisent en une pyramide qui, par échelons successifs, fait converger vers la personne du souverain l'hommage et le service des vassaux et des arrière-vassaux ; l'exploitation du droit féodal, alors que s'anime la circulation monétaire, sert de base à l'instauration de la fiscalité royale, et prépare la restauration de la souveraineté.
Les rites, les usages, les pratiques juridiques nés de la féodalité persistèrent cependant très longtemps. Progressivement, ils apparurent comme le symbole d'un ordre suranné, de tous les privilèges de caste et des survivances de l'exploitation seigneuriale. Aussi la Révolution française désigna-t-elle par le terme de féodalité les cadres majeurs de l'Ancien Régime qu'elle s'employait à détruire. Hors d'Europe, seul le Japon connut un ensemble de relations juridiques, sociales, économiques et d'attitudes mentales comparables aux structures qui s'étaient établies dans l'Occident médiéval.
Le mot féodalité apparut au xviie siècle pour qualifier ce qui se rattache au fief, c'est-à-dire à l'un des vestiges alors les mieux conservés du système juridique médiéval. Il en vint à définir tout ce qui subsistait de ce système. C'est ainsi que l'entendirent les révolutionnaires de 1789, abusant du mot féodal pour désigner ce qui, dans l'Ancien Régime, leur paraissait le plus mériter la destruction. Ce terme prit alors un sens péjoratif, qui lui est resté dans l'usage courant où il sert à définir tout ce qui est mépris de l'autorité publique au profit d'intérêts privés.
Il s'agit ici de lui restituer sa signification véritable, celle que les historiens s'attachent à circonscrire. La féodalité appartient à la civilisation de l'Occident médiéval, dont elle constitue un aspect majeur. Phénomène complexe, dont le fief, qui fournit à l'expression sa racine étymologique, n'est qu'un élément parmi beaucoup d'autres. Ce phénomène concerne l'histoire des structures politiques : pour Montesquieu et Voltaire, l'époque féodale est celle où les pouvoirs politiques ont connu la désagrégation la plus complète. Mais il est inséparable d'un certain état de la société et de l'économi [...]
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Écrit par :
- Georges DUBY : de l'Académie française
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ALLEMAGNE (Histoire) - Allemagne médiévale
Dans le chapitre « Les structures féodales à la fin du XIIe siècle » : […] Les pratiques féodo-vassaliques, nées entre Loire et Meuse, se répandirent en Francia orientalis avec un certain décalage dans le temps, qu'accentua encore la séparation entre les deux royaumes. Mais le champ d'application de ces pratiques s'était étendu aux fonctions publiques, notamment à la plus importante, celle des comtes qui, après avoir tenu du roi des biens en bénéfice, en vinrent, dès le […] Lire la suite
ANCIEN RÉGIME
Dans le chapitre « La réaction seigneuriale » : […] La pression seigneuriale a été pratiquement constante tout au long de l'époque moderne, et les mesures de limitation de la noblesse, de recherches de faux nobles sont anciennes. Mais ces habitudes, ces mesures, d'ailleurs plus ou moins observées, se forment à la fin du xviii e siècle en une espèce de corps de doctrine, d'autant plus insupportable que les circonstances s'y prêtent moins. Les mots […] Lire la suite
ANGEVIN EMPIRE
De 1154 au début du xiii e siècle, sous l'égide des rois d' Angleterre issus de la maison d' Anjou, un « empire », fait en réalité de la juxtaposition de terres de pleine souveraineté et de fiefs tenus de princes étrangers, paraît dominer l'ouest de l'Europe . Ce Channel State est aussi remarquable par sa puissance d'un moment que par la relative rapidité de son érosion. […] Lire la suite
AUBAIN
Terme qui, dans l'ancien droit français, désigne l'étranger. Dans le morcellement politique du premier âge féodal, l'aubain était non seulement l'étranger au royaume, mais même à la seigneurie : ceux qui venaient du dehors s'établir dans une seigneurie devaient dans l'an et jour s'avouer l'homme du seigneur sur la terre duquel ils s'établissaient, sous peine de s'exposer à être saisis corps et bie […] Lire la suite
BAN, pouvoir de commandement
En droit féodal, le seigneur haut-justicier dispose du pouvoir de faire des règlements et des proclamations publiques, ou droit de ban, sur l'étendue de son domaine, d'où il a aussi le droit de bannir les criminels. Ainsi, par un ban, le seigneur s'attribue, dès le xi e siècle, le monopole d'installations telles que four, halle (qu'à l'origine il était seul à pouvoir faire construire), forge, pre […] Lire la suite
BAN & ARRIÈRE-BAN
Dans le système féodal, les vassaux, ou titulaires de fiefs, doivent au seigneur, donc au roi en particulier, un temps de service militaire, le service d'ost : ils forment le ban. En cas de grand péril, les seigneurs procèdent à la levée en masse de tous les hommes, vassaux et paysans : c'est l'arrière-ban, service sans limitation de durée. Dès la fin du Moyen Âge, il devient possible pour chaque […] Lire la suite
BANNIÈRE
Mot dont la racine est ban , c'est-à-dire convocation des vassaux par le suzerain. Au Moyen Âge, la bannière est l'enseigne sous laquelle se rangent les vassaux convoqués pour aller à la guerre. Le seigneur banneret est celui qui peut lever bannière en réunissant ses vassaux. La bannière du banneret, attachée au bout de la lance, est carrée et se distingue du pennon du simple chevalier, prolongé e […] Lire la suite
CHASSE
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CHEVALERIE
La chevalerie apparaît au xi e siècle comme une catégorie de la société féodale rassemblant les spécialistes du combat cavalier, devenu le seul réellement efficace. C'est par le rite de la remise des armes, l' adoubement, que le jeune homme ayant achevé son éducation militaire, est fait chevalier, apte à coopérer loyalement à la défense du peuple et au maintien de la paix. En France, la chevaler […] Lire la suite
COMMENDATIO
Acte par lequel un homme libre pouvait se « recommander » à un plus puissant que lui, se placer dans sa dépendance pour en obtenir protection et, parfois, nourriture. Ce fut, pendant le haut Moyen Âge ( vi e -IX e s.), l'origine de la féodalité. À l'époque mérovingienne, cette commendatio affecte des hommes de tout rang qui obtiennent ainsi d'un plus puissant (laïc, ou institution ecclésiastique) […] Lire la suite
Voir aussi
- AIDE FÉODALE
- AUTORITÉ POLITIQUE
- BÉNÉFICE FÉODAL
- COMMISE
- COMTE
- DUC
- HISTOIRE DE L' ÉGLISE des origines au concile de Trente (1545)
- EMPIRE CHRÉTIEN D'OCCIDENT
- FEUDATAIRE
- FIDÉLITÉ
- HOMMAGE
- JAPON histoire de 1192 à 1603
- JAPON (1603-1868) histoire période Tokugawa
- PAIX DE DIEU
- MODES DE PRODUCTION
- ROYAUTÉ SACRÉE
- SERVICE
- VASSALITÉ
Pour citer l’article
Georges DUBY, « FÉODALITÉ », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 19 mai 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/feodalite/