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VIOLENCE (notions de base)

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Violence et subjectivité

Si les philosophes qui ont cherché à porter un regard sociologique sur l’origine de la violence semblent avoir échoué, n’est-ce pas la nature humaine elle-même qu’il convient ici de sonder ? Quelle spécificité de l’être humain pourrait l'expliquer ? Ne serait-ce pas l’accès des humains à la subjectivité ?

Il semblerait cohérent de situer, dans ce qui est propre à l’espèce humaine – sa conscience – la source de la violence particulière dont il est coutumier. Nul n’a mieux montré que René Descartes (1596-1650) comment le fait de disposer d’une conscience risque de nous enfermer dans un « solipsisme », autrement dit dans une perception qui nous autorise à douter de tout ce qui n’est pas nous. Peut-être ai-je inventé le monde qui n’est rien d’autre que mon rêve ? Et quand je regarde par ma fenêtre, j’observe, nous dit l’auteur des Méditations métaphysiques (1641), « des manteaux et des chapeaux » dont rien ne me garantit qu’ils revêtent des êtres semblables à moi, dotés d’une âme, capables de sensations et d’émotions. En ce sens, le marquis de Sade (1740-1814) peut être considéré comme une « victime » de la métaphysique cartésienne, à laquelle il fait discrètement allusion dans ce troublant raisonnement de La Philosophie dans le boudoir (1795) : « Il n’y a aucune comparaison entre ce qu’éprouvent les autres et ce que nous ressentons : la plus forte douleur chez les autres doit assurément être nulle pour nous, et le plus léger chatouillement de plaisir éprouvé par nous nous touche ; donc nous devons préférer, à quelque prix que ce soit, ce léger chatouillement qui nous délecte à cette somme immense des malheurs d’autrui qui ne sauraient nous atteindre. » Il est indéniable que je n’ai jamais ressenti la douleur de l’autre ; je peux tout au plus me la représenter, mais elle demeure à tout jamais inaccessible pour moi. N’en tenir aucun compte et bâtir mon existence sur mes seules émotions pourrait donc apparaître comme une attitude logique.

Sans partager les conclusions que tire Sade de son raisonnement, Jean-Paul Sartre (1905-1980) développera des réflexions analogues dans L’Être et le Néant (1943). N’ayant pas directement accès à la conscience de l’autre, je ne peux qu’imaginer ses contenus, et je vis dans l’angoisse permanente de l’interprétation de ce qu’il pense et ressent. « Le conflit est le sens originel de l’être-pour-autrui », écrit Sartre, pour qui la violence est fille de la peur. Autrui me juge, autrui me vole ma liberté, je n’ai aucun pouvoir sur ses représentations. Si le bourreau s’acharne sur sa victime, c’est qu’il se sent jugé par elle : la violence exponentielle qu’il exerce serait déclenchée par la peur qu’il éprouve à son égard.

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Écrit par

  • : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

Classification

Pour citer cet article

Philippe GRANAROLO. VIOLENCE (notions de base) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 03/05/2021

Autres références

  • VIOLENCE, notion de

    • Écrit par
    • 1 462 mots

    Bien qu'il s'agisse d'une notion à bien des égards trop familière, il est difficile de définir la violence. À cela, de multiples raisons. Et d'abord, le fait qu'elle recouvre des comportements très disparates. On parle de violences domestiques et de violences politiques, de violences physiques et de...

  • ADOLESCENCE

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