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TINTORET (1519-1594)

Un peintre maniériste

<em>Jésus parmi les docteurs de la Loi</em>, Tintoret. - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

Jésus parmi les docteurs de la Loi, Tintoret.

Le caractère essentiellement vénitien du peintre (« le séquestré de Venise », comme l'appela Sartre) n'empêche cependant pas Tintoret de suivre les développements de la peinture italienne : celle-ci, à partir des centres de Florence et de Rome, exporte la nouvelle culture maniériste, aux manifestations multiformes, mais qui est marquée par une problématique spirituelle commune et par des modes figuratifs capables d'en exprimer la nature complexe et tourmentée. Si l'influence du maniérisme se fait déjà sentir à Venise avec la génération de Lotto, de Pordenone, Pâris Bordone et Schiavone, si elle constitue un épisode dans l'évolution de Titien et de Véronèse, on peut affirmer qu'elle prédomine dans la constitution du langage de Tintoret. Ce n'est pas seulement l'échange intense d'artistes entre la Vénétie et l'Italie centrale qui favorise la diffusion des idées nouvelles, mais aussi le fait que Pietro Aretino ( l'Arétin) se fixe à Venise à partir de 1527. Le dialogue de Dolce sur la peinture, intitulé L'Aretino, consacre l'importance du Toscan, « Vénitien d'élection », dans le climat agité de la culture artistique de la ville. Alors que l'historiographie ancienne situait les débuts de l'activité officielle de Tintoret en 1547-1548, les études modernes donnent cette date comme étant la fin de sa période de formation. Dans la production de Madone et de Sacre Conversazioni des débuts, on note déjà combien l'artiste élabore avec une sensibilité plastique rigoureuse et un goût luministe neuf les thèmes empruntés de façon éclectique à Pordenone, Bonifacio et Schiavone. Un plafond en quatorze caissons, conservé à la Galleria Estense de Modène, constitue un jaillissement soudain, où les structures plastiques sont violentées par des mouvements et des raccourcis sur lesquels jouent des lumières crues. L'adhésion enthousiaste à une syntaxe maniériste – que Tintoret connaissait par des dessins et des gravures – confère à ces œuvres une couleur particulière : les exemples de Jules Romain à Mantoue constituèrent pour les peintres et les architectes vénitiens une source très importante d'inspiration. La construction formelle si riche, le goût des raccourcis et des perspectives, qui implique une vive sensibilité de l'espace, offrent au jeune Tintoret les moyens de réaliser un style narratif vivant, violent, qui, dans le climat vénitien de la première moitié du xvie siècle, n'avait de précédents que chez Pordenone. C'est en ce sens que doivent être appréciées les diverses peintures de caissons illustrant des épisodes de la Bible (celles du Kunsthistorisches Museum de Vienne, que l'on peut dater de 1544-1545), l'œuvre singulière Jésus au milieu des docteurs(Museo del Duomo, Milan), lourde de significations culturelles, ou la Conversion de Saul (National Gallery of Art, Washington), où des éléments formels empruntés à Pordenone et à Schiavone, ainsi que le souvenir de la Bataille de Titien du palais ducal, sont exaspérés par une vague de mouvements qui se propagent dans l'espace. Mais des œuvres plus décoratives ne manquent pas, où les corps sont rendus avec une élégance raffinée, comme dans le plafond pour l'Arétin représentant Apollon et Marsyas (1545), ou les essais de composition de groupes échelonnés dans des salles aux architectures compliquées (différentes versions de La Femme adultère : Galleria nazionale de Rome, château de Prague, Rijksmuseum d'Amsterdam). Deux tableaux datés de 1547, destinés à l'abside de l'église San Marcuola à Venise, sont déjà un exemple, pour ce qui est de la maturité du style, de l'univers formel et expressif de l'artiste : dans La Cène (in situ), la traditionnelle iconographie horizontale s'articule en un dramatique[...]

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Écrit par

  • : directeur au Centre international d'éducation artistique, U.N.E.S.C.O.

Classification

Pour citer cet article

Anna PALLUCCHINI. TINTORET (1519-1594) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>Jésus parmi les docteurs de la Loi</em>, Tintoret. - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

Jésus parmi les docteurs de la Loi, Tintoret.

La Présentation de Jésus au Temple, Tintoret - crédits : Cameraphoto/ AKG-images

La Présentation de Jésus au Temple, Tintoret

<it>Suzanne et les deux vieillards, Tintoret</it> - crédits : Cameraphoto/ AKG-images

Suzanne et les deux vieillards, Tintoret

Autres références

  • TINTORET. NAISSANCE D'UN GÉNIE (exposition)

    • Écrit par Valentina SAPIENZA
    • 1 147 mots
    • 1 média

    À la suite de sa « version » allemande du Wallraf-Richartz-Museum de Cologne (Tintoretto. A star wasborn, 6 oct. 2017-27 janv. 2018), l’exposition Tintoret. Naissance d’un génie a ouvert au musée du Luxembourg à Paris (7 mars-1er juillet 2018), les célébrations du cinquième centenaire...

  • MANIÉRISME

    • Écrit par Sylvie BÉGUIN, Marie-Alice DEBOUT
    • 10 161 mots
    • 34 médias
    À côté de lui, cependant, Tintoret, d'ailleurs attiré par l'art de Michel-Ange, fait figure de vrai maniériste, surtout après le voyage à Rome au lendemain duquel il abandonne une première manière, où il était sous l'influence de Parmesan, pour devenir, selon Vasari, « l'esprit le plus fantastique...
  • NAVARRETE JUAN FERNÁNDEZ DE (1526-1579)

    • Écrit par Claudie RESSORT
    • 319 mots
    • 1 média

    Peintre espagnol. Sourd-muet depuis l'âge de trois ans (El Mudo) et d'une santé très précaire, Juan Fernández de Navarrete ne put réaliser pleinement ses dons de décorateur et de coloriste. Son talent est reconnu très tôt par les hiéronymites du monastère de La Estrella (Navarre) qui l'accueillent...

Voir aussi