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TINTORET (1519-1594)

Tintoret est un peintre vénitien par sa naissance mais aussi parce qu'il a exalté dans son œuvre les forces qui constituaient le fondement de la puissance de sa cité : un solide pouvoir civil et une religiosité ardente qui favorisaient les arts. Cette identification du peintre avec sa ville, avec une société qui, pendant la seconde moitié du xvie siècle, sut conserver un profond sentiment de la liberté civile et religieuse, ne conduit pas à une limitation, mais à un approfondissement et à une caractérisation de son art.

La critique moderne a restitué à l'artiste son visage et sa grandeur, après l'incompréhension du xviiie siècle et les incertitudes du siècle suivant. La sensibilité qui a créé la poétique expressionniste nous a aidés à comprendre le langage de Tintoret. Ce langage se forme au moment le plus dynamique de la culture maniériste et, bien que sensible aux voix des grands contemporains vénitiens – Titien et Véronèse –, élabore une forme d'expression très personnelle. L'artiste fait éclater l'espace, la structure plastique, et fait appel surtout à la lumière pour traduire ses visions dramatiques.

Le séquestré de Venise

La famille de Jacopo Robusti, dit le Tintoret, était originaire de Lucques en Toscane, mais le destin du peintre apparaît étroitement lié à la cité de la lagune. Dans les églises et les Scuole il prodigue ses peintures, enrichit de fresques joyeuses les façades des palais qui se reflètent dans les canaux, offre des dessins aux mosaïstes qui achevaient les voûtes dorées de la basilique Saint-Marc. Aucun document ne permet de préciser l'année de la naissance du peintre, mais d'après son acte de décès (31 mai 1594), qui le déclare âgé de soixante-quinze ans, on peut en déduire qu'il naquit en 1519. Cette date convient en effet, car elle concorde avec le déroulement de son activité. En 1539, dans un acte public, le peintre signait : « Mistro Giacomo depentor ». Il est certain que Tintoret fut un artiste précoce ; son père qui était teinturier (tintore) dut l'envoyer très tôt chez quelque modeste artisan. Sa petite taille lui valut le diminutif affectueux de « Tintoretto » (petit teinturier), qu'il accepta et transmit à ses héritiers. On ne possède pas de documents relatifs à la période où il fut l'élève de Titien, interrompue, si l'on se réfère aux sources, par la jalousie de son maître. L'enseigne que, selon la tradition, le peintre plaça dans son atelier, « Il disegno di Michelangelo, il colorito di Titiano » peut être considérée comme une allusion à la diversité d'intérêts culturels et figuratifs qui le stimulèrent certainement dès sa bouillante jeunesse : la culture vénitienne – éclairée vers les années trente et quarante par l'art de Titien – et la culture maniériste composite de l'Italie centrale.

Tintoret commence à produire intensément au cours de la décennie 1540-1550, et pas seulement pour des particuliers ; en effet, en 1548, il obtient la commande d'un vaste tableau pour la Scuola di San Marco, œuvre qui, du fait de la nouveauté de son style, fut considérée comme provocatrice par le milieu conservateur des religieux qui la lui commandèrent, mais comme neuve et intéressante par des lettrés sensibles et dénués de préjugés comme l'Arétin. Doué d'une grande force de travail et impatient de réaliser les ardentes visions que lui suggère son imagination, Tintoret s'assure une grande quantité de commandes, certaines officielles, faisant toujours preuve d'un remarquable manque d'intérêt pour le gain. En 1550, il épouse Faustina Episcopi, dont il eut huit enfants. Trois d'entre eux apprirent le métier de leur père. Tintoret habitait avec sa famille au bord de la lagune, près de l'église de la Madonna dell'Orto, pour laquelle il créa des[...]

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Écrit par

  • : directeur au Centre international d'éducation artistique, U.N.E.S.C.O.

Classification

Pour citer cet article

Anna PALLUCCHINI. TINTORET (1519-1594) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>Jésus parmi les docteurs de la Loi</em>, Tintoret. - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

Jésus parmi les docteurs de la Loi, Tintoret.

La Présentation de Jésus au Temple, Tintoret - crédits : Cameraphoto/ AKG-images

La Présentation de Jésus au Temple, Tintoret

<it>Suzanne et les deux vieillards, Tintoret</it> - crédits : Cameraphoto/ AKG-images

Suzanne et les deux vieillards, Tintoret

Autres références

  • TINTORET. NAISSANCE D'UN GÉNIE (exposition)

    • Écrit par Valentina SAPIENZA
    • 1 147 mots
    • 1 média

    À la suite de sa « version » allemande du Wallraf-Richartz-Museum de Cologne (Tintoretto. A star wasborn, 6 oct. 2017-27 janv. 2018), l’exposition Tintoret. Naissance d’un génie a ouvert au musée du Luxembourg à Paris (7 mars-1er juillet 2018), les célébrations du cinquième centenaire...

  • MANIÉRISME

    • Écrit par Sylvie BÉGUIN, Marie-Alice DEBOUT
    • 10 161 mots
    • 34 médias
    À côté de lui, cependant, Tintoret, d'ailleurs attiré par l'art de Michel-Ange, fait figure de vrai maniériste, surtout après le voyage à Rome au lendemain duquel il abandonne une première manière, où il était sous l'influence de Parmesan, pour devenir, selon Vasari, « l'esprit le plus fantastique...
  • NAVARRETE JUAN FERNÁNDEZ DE (1526-1579)

    • Écrit par Claudie RESSORT
    • 319 mots
    • 1 média

    Peintre espagnol. Sourd-muet depuis l'âge de trois ans (El Mudo) et d'une santé très précaire, Juan Fernández de Navarrete ne put réaliser pleinement ses dons de décorateur et de coloriste. Son talent est reconnu très tôt par les hiéronymites du monastère de La Estrella (Navarre) qui l'accueillent...

Voir aussi