SYRIE

Nom officiel République arabe syrienne
Dirigeant de facto Ahmed al-Charaa - depuis le 1er décembre 2024 (de son nom de guerre Abou Mohammed al-Joulani)
Premier ministre de transition Mohammed al-Bachir - depuis le 10 décembre 2024
Capitale Damas
Langue officielle Arabe
Population 23 594 623 habitants (2023)
    • Selon le Haut-Commissariat des Nations unies, entre 6 et 8 millions de personnes ont quitté le pays depuis le début de la guerre civile.
    Superficie 185 180 km²

      Les longues années de « transition »

      Les années 1990 sont celles de la lente transition politique sous l'effet de deux contraintes. D'une part, le régime d'Hafez al-Assad reste bien en place, la contestation organisée est faible, divisée, poussée à l'exil ou anesthésiée par la répression du soulèvement de Hama (1982). Mais derrière l'apparente unanimité, des demandes d'ouverture résonnent : à l'heure où le régime de Ceaucescu s'effondre en Roumanie, des slogans qualifiant la Syrie de Chām-escu (Chām signifiant la Syrie au sens géographique) apparaissent sur les murs de Damas. D'autre part, la Syrie ne peut plus compter sur le contrepoids que représentait l'URSS qui s'effondre au début des années 1990, et se retrouve prisonnière de la politique de sécurité régionale menée par les États-Unis, devenus l'unique puissance au Moyen-Orient. Mais toute transition politique de la Syrie est obérée par la mauvaise santé du président, dessinant une décennie perdue au cours de laquelle les évolutions sont bloquées et la question de la « succession » est dans tous les esprits.

      Les blocages structurels du régime syrien

      La maladie du président à partir de la seconde moitié des années 1990 obère toute possibilité d'évolution. Hafez al-Assad quitte rarement le palais présidentiel, consacre l'essentiel de son temps à visiter les unités militaires et effectue quelques voyages brefs en Iran, Russie, France et Égypte. Il est préoccupé par la contestation latente, écho de la vague de démocratisation liée à l'instauration de démocraties dans le monde de l'après-guerre froide. La Syrie n'est plus un pays totalement fermé sur lui-même comme dans les années 1980 : interdits officiellement mais tolérés en pratique par le régime, le fax puis les antennes paraboliques, les téléphones cellulaires et enfin Internet (autorisé à la fin de la décennie 1990) font leur apparition. Le débat public s'en trouve modifié et beaucoup plus ouvert, même s'il se déroule souvent par l'intermédiaire des quotidiens libanais.

      Le régime répond à cette contestation par des libérations de prisonniers politiques, dont l'ancien président Nūr al-Dīn al-Atāsī ou le général Salah Jedid, ancien rival au sein de l'armée de Hafez al-Assad, mais aussi des centaines de Frères musulmans. Le pouvoir syrien opère une réconciliation prudente avec ces derniers, permettant le retour d'anciens hauts responsables de la confrérie (le guide Ali Sadreddin al-Bayanouni reste toutefois en exil à Londres). Le régime accepte une « réislamisation » de la société, avec la multiplication des voiles chez les femmes, des prières collectives du vendredi ou des écoles religieuses.

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      Pour répondre plus directement aux aspirations d'ouverture politique des Syriens, le gouvernement Assad réserve, à partir de mai 1991, des sièges (84 sur 250) au Parlement (Majlis al-Chaab) aux candidats dits « indépendants », c'est-à-dire non soumis au Baas ou aux partis autorisés groupusculaires (regroupés au sein du Front national progressiste). Des hommes d'affaires liés au régime, des notables locaux, des prêcheurs religieux, des leaders tribaux ou des vedettes de la télévision font ainsi leur entrée au Parlement et redonnent du lustre à des élections qui fonctionnaient à l'unanimisme, permettant ainsi une participation plus forte des électeurs en 1991 (environ 60 %). Des élites nouvelles très différentes de la nomenklatura traditionnelle du Baas font entendre une voix alternative au sein même du système. Mais les « indépendants » développent, en général, un discours apologétique encore plus fort que les cadres du Baas envers le président Hafez al-Assad. Le 17 novembre 1991, le Parlement approuve à l'unanimité la candidature d'Hafez al-Assad pour un quatrième mandat : il est réélu avec 99,8 % des suffrages. Un gouvernement est formé, avec dix-huit nouveaux ministres sur trente-sept, parmi lesquels vingt-quatre appartiennent au Baas.

      Le régime ressent aussi la nécessité d'une ouverture économique (infitah) au sein d'un système qui doit trouver du travail à une population en très forte croissance démographique (3,3 à 3,5 % par an dans les années 1990) et doit faire face à un taux de chômage très fort. Le vote de la loi d'investissement no 10, en mai 1991, introduit une étape nouvelle en facilitant, par des exemptions de taxations et des régulations multiples (et contradictoires), les conditions de l'investissement depuis l'étranger — afin d'attirer les milliards de dollars de la diaspora syrienne — et pour les entrepreneurs privés syriens. Mais la loi est détournée et profite surtout aux gros investisseurs (« les classes nouvelles ») liés aux barons du régime ou représentés par leurs fils. Elle introduit toutefois un climat économique nouveau. Le retour, en 1990-1991, avec leurs économies, de 100 000 Syriens, partis travailler dans le Golfe, participe aussi à un essor formidable du commerce. Le secteur privé syrien devient prépondérant dans de nombreuses activités (production textile, alimentaire, de produits chimiques, métalliques, de fournitures diverses) et assure le fonctionnement de l'économie en termes d'approvisionnement de produits qui étaient introuvables dans les années 1980. Toutefois, la question des équilibres financiers reste un problème, car beaucoup des profits partent sur des comptes au Liban ou en Occident.

      Ainsi, la situation économique reste très difficile pour les Syriens dont le pouvoir d'achat baisse mais ne s'effondre pas totalement. La Syrie fait face à des déficits considérables et ne peut plus bénéficier de l'assistance soviétique — même si l'aide provenant des pays du Golfe, après la participation syrienne à la coalition anti-irakienne en 1991, assure un répit. Par ailleurs, l'économie reste encore très agricole et les exportations pétrolières qui, au début des années 1990, représentaient les deux tiers du total des exportations, diminuent à partir de 1998 avec l'épuisement des réserves. Damas doit alors négocier des aides auprès des pays du Golfe, tenter de bénéficier des marchés régionaux (arabes ou turcs) ou saisir des opportunités telles que le trafic de produits manufacturés ou agricoles syriens contre le pétrole (ou les devises) de l'Irak sous embargo. La Syrie se rapproche également de l'Union européenne en exprimant le souhait, à partir de la fin de 1997, de négocier un accord d'association.

      Évolutions du contexte régional et perspectives de paix

      Hafez al-Assad et Bill Clinton, 2000 - crédits : Cynthia Johnson/ The LIFE Images Collection/ Getty Images

      Hafez al-Assad et Bill Clinton, 2000

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      La Syrie est parallèlement soumise aux évolutions du contexte régional. Le tournant majeur est la relance du processus de paix israélo-arabe, avec la conférence de Madrid en octobre 1991, à laquelle la Syrie prend part afin de faire bonne figure devant la puissance américaine (elle est le premier État arabe à accepter d'y participer). Hafez al-Assad tente, malgré tout, de ne pas se laisser entraîner dans le cadre imposé par l'hégémonie des États-Unis sur le processus de paix, c'est-à-dire dans une véritable négociation de paix tête à tête avec Israël. Après la victoire, lors des législatives en Israël en juin 1992, des travaillistes avec Itzhak Rabin, qui coïncide avec l'arrivée au pouvoir, à Washington, de l'administration démocrate de Bill Clinton, les perspectives d'évolution sont renouvelées. Damas est extrêmement gêné par l'enthousiasme que manifestent d'autres acteurs arabes, en particulier palestiniens ou jordaniens, pour engager des négociations avec Israël, car cela rend caduque toute position arabe commune susceptible d'offrir un contrepoids à Israël. La signature des accords d'Oslo entre l'OLP et Israël, en septembre 1993, puis du traité de paix israélo-jordanien en octobre 1994, soulignent l'isolement syrien. À la suite du sommet de janvier 1994, à Genève, entre Clinton et Assad, ce dernier se déclare prêt à une « paix totale » en échange d'un « retrait israélien total », indiquant ainsi que les Syriens commencent à renoncer à la fois à une stratégie arabe commune, c'est-à-dire à une influence sur la Jordanie ou l'OLP, et à l'idée d'un règlement régional avec Damas comme bastion du nationalisme arabe et des droits palestiniens. La Syrie se lance alors dans des négociations bilatérales avec Israël.

      La stratégie très complexe menée par Assad consiste à essayer de récupérer les territoires occupés par Israël en 1967 (les « lignes du 4 juin 1967 »), tout en minimisant le degré de normalisation des relations avec l'État hébreu afin de ne pas conclure une paix « séparée », mais d'obtenir un équilibre de puissance dans une situation de « paix des braves » ou en tout cas de non-guerre. Ce « choix stratégique », selon l'expression de Hafez al-Assad, est une contrainte forte pour la Syrie qui ne dispose que de faibles cartes alternatives, son alliance avec l'Iran ou son contrôle sur le Liban. Ce dernier permet à Damas d'imposer l'« imbrication des deux dossiers », syrien et libanais, dans la négociation avec Israël et de faire échec à l'option « Lebanon first » proposée par le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou en 1996. À plusieurs reprises, la Syrie s'en tient au statu quo plutôt que d'accepter une paix qui répondrait aux exigences israéliennes. Elle est cependant prise dans la dynamique de la négociation, les discussions sécuritaires entre les chefs d'état-major syrien et israélien aux États-Unis (été de 1994-été de 1995) mènent à des arrangements qui approchent d'un accord final (négociations à Wye Plantation, décembre 1995). Les négociations avec Israël sont à nouveau dans l'impasse entre 1996 et 1999, à la suite du refus de la Syrie de condamner la vague d'attentats palestiniens perpétrés en Israël en mars 1996, et en réponse à l'opération israélienne « Raisins de la colère » menée au Liban en avril de la même année. Malgré l'arrivée au pouvoir du nouveau Premier ministre israélien Ehoud Barak, en 1999, décidé à faire avancer les négociations, celles-ci échouent lors du sommet de Genève, en mars 2000, entre Bill Clinton et Hafez al-Assad. Le président américain tente de forcer la main de son interlocuteur qui, malade, ne souhaite pas léguer ce problème à son fils. Mais le président syrien refuse de signer un traité de paix avec Israël.

      Le maintien de la mainmise sur le Liban est un élément essentiel de la stratégie syrienne. Le choix d'Hafez al-Assad de participer à la coalition anti-irakienne en 1991 a été récompensé par le « feu vert » occidental pour parfaire son contrôle sur le Liban, et couronné par la signature, en mai 1991, d'un « traité d'amitié, de coopération et de coordination » entre les deux pays. Néanmoins, la tutelle syrienne est lourde et provoque des protestations libanaises (boycott massif par les maronites des élections législatives de 1992 et de 1996). À partir de la seconde moitié des années 1990, Damas s'appuie sur une clientèle locale libanaise pour prolonger de trois ans, hors des règles constitutionnelles, le mandat du président libanais Elias Hraoui en novembre 1995 ; puis, pour assurer l'élection, en novembre 1998, de l'ancien commandant de l'armée Emile Lahoud, un proche de Damas, et mettre à l'écart Rafic Hariri. Les Syriens peuvent également compter sur la participation politique du Hezbollah lors des législatives de 1992 (huit sièges) et de 1996 (sept sièges). Cette organisation avait conservé sa milice après les accords de Taëf en 1989, une exception au désarmement des milices imposée par la Syrie, que le Hezbollah (en accord avec Damas) a justifié au nom de la lutte de la « résistance islamique » contre l'occupation israélienne du sud du Liban. Du point de vue syrien, le Hezbollah permet de maintenir une pression sur Jérusalem, qui tente de régler militairement le problème, notamment en août 1993 et en avril 1996 (opération « Raisins de la colère »).

      La question de la succession

      Le processus de construction d'un héritier, par Hafez al-Assad, au sein du système syrien s'accélère dans les années 1990. Ce dernier s'appuie sur son fils aîné Bassel, de plus en plus visible à son côté sur les affiches de propagande omniprésentes dans les lieux publics et dans les institutions du régime. Sa disparition accidentelle en janvier 1994 contrecarre ses projets. Le fils cadet, Bachar, médecin étudiant à Londres, est rappelé à Damas puis introduit dans le système en place. Il suit d'abord une formation militaire accélérée puis, à partir de 1998, se voit confier des dossiers politiques sur la gestion du Liban et, enfin, se trouve implicitement intronisé diplomatiquement en se rendant en visites privées (il n'a pas de fonction officielle élevée) en Jordanie (pour établir des contacts avec la nouvelle génération de dirigeants arabes représentée par Abdallah ii), en Arabie Saoudite, dans les États du Golfe (ce sont des financiers très importants de la Syrie) et en France (où le président Chirac le reçoit comme un chef d'État en novembre 1999).

      Hafez al-Assad réaffirme ainsi son autorité sans partage, d'autant plus à l'heure où d'autres échéances fondamentales pour l'avenir de la Syrie, telles que les perspectives de paix avec Israël, agitent les coulisses du pouvoir à Damas. Tous ceux qui se mettent en travers de la route du président sont écartés (Ali Haidar, chef des unités spéciales de l'armée en 1994, Hikmat Chehabi, chef d'état-major en 1998, etc.), et des jeunes officiers proches de Bachar al-Assad sont promus au sein des instances militaires. Une « campagne anticorruption » dirigée par Bachar permet de remplacer les caciques récalcitrants au sein du pouvoir. Hafez al-Assad cherche à assurer la perpétuation du système qu'il a mis en place, en utilisant sa famille proche et en particulier son fils, et à éviter toute crise de succession, comme ce fut le cas en 1983. La dernière étape du processus consistera à renouveler les cadres du Baas pour y introduire une « jeune génération », lors du congrès du parti au début de 2000, dans les mois précédant la mort de Hafez al-Assad, et à changer le gouvernement, en mars 2000, avec la nomination de Mustafa Miro, un cacique de second rang, au poste de Premier ministre, laissant ainsi la voie libre à Bachar.

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      La personnalisation du pouvoir avait été renforcée après la crise de succession de 1983, avec la montée d'un culte de la personnalité autour de Hafez al-Assad, qui n'est plus présenté comme le président ou le secrétaire général du parti Baas, mais comme « le chef pour toujours » (al-qa'id ila al-abad). Il contrôle les réseaux de pouvoir en opposant les caciques les uns aux autres ou en multipliant les services de sécurité (mukhabarat). De 1985 à 2000, le pouvoir est tellement personnalisé que le Baas ne se réunit plus en congrès. Les réseaux de la famille proche de Hafez al-Assad occupent une place de plus en plus importante : le numéro deux de la sécurité militaire Assef Chawkat, marié à la fille du président, joue un rôle influent dans le régime. La légitimation du pouvoir passe désormais par l'affichage de sa dimension « dynastique ». Selon l'idéologue du régime, le général Bahjat Suleiman, Bachar est un « membre d'un arbre béni [...] représentant une branche qui a grandi dans un solide tronc [...] qui répond à l'appel de la nation » (Al-Thawra, du 19 janvier 1997).

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      • : maître de conférences, université Lyon 2
      • : ancien élève de l'École polytechnique
      • : professeur des Universités en science politique
      • : docteur en sociologie politique des relations internationales
      • : spécialiste économique et politique pour le Proche-Orient, conseiller privé
      • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

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      Syrie : carte administrative - crédits : Encyclopædia Universalis France

      Syrie : carte administrative

      Syrie : drapeau - crédits : Encyclopædia Universalis France

      Syrie : drapeau

      Restitution du portique-galerie d'une maison de Sergilla, Syrie - crédits : C. Duvette

      Restitution du portique-galerie d'une maison de Sergilla, Syrie

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        Né en 1938 à Jaffa (en Palestine alors sous mandat britannique), d’un père palestinien et...

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