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SUJET

Sujet, moi et parole

Et de fait – telle est bien la difficulté de cette conception du sujet – , l'au-delà toujours problématique auquel je n'ai accès qu'à travers les coupures de l'intersubjectivité finit par se résorber dans son lieu de naissance : le « sujet pur », le « creux de recel » des signifiants, l'Autre. Pour donner donc une quelconque surface à ce sujet transmoïque, qui ne cesse de disparaître, Lacan est obligé d'établir entre le sujet et l'ego une relation dont il affirme qu'elle s'établit en miroir, ou encore qu'elle est une relation de complémentarité. Le moi constituerait alors la part dimidiée du sujet sur cette bande de Mœbius où l'on passe insensiblement du moi à l'autre et de l'autre au moi, pris dans le vertige d'une ignorance à laquelle nulle volonté ne saurait remédier. Qu'enroulent alors les deux anneaux du « huit » sinon cette béance productive qui est la part cachée du sujet et cet abîme de l'Autre où « bourdonnent » les signifiants ?

« Le sujet n'est pas celui qui pense. Le sujet est proprement celui que nous engageons, non pas, comme nous le lui disons pour le charmer, à tout dire – on ne peut pas tout dire – mais à dire des bêtises, tout est là. » Cette formule de Jacques Lacan nous semble bien résumer le paradoxe d'une psychanalyse qui, attentive à tout ce qui dans le discours non seulement contrecarre l'intentionnalité signifiante, mais se déploie en son absence, ne renonce cependant pas à injecter du sens là même où elle avait prétendu établir la préséance du signifiant sur le signifié. Puisque le sujet n'est pas celui qui pense, alors c'est le langage ou bien cet inconscient « structuré comme un langage » qui pensent à sa place, le sujet devant se résigner à n'être que le lieu de passage d'une pensée dont il est moins le substrat que le suppôt et moins l'auteur que la victime. Mais à déplacer le « génie » du sujet vers un certain type de langage, encore laisse-t-on entière la question du sceau par lequel la «  parole vraie » se verra authentifiée ; ou plutôt ne fait-on que reculer les termes du problème, puisque au niveau du discours se retrouve cette même dépendance dont le sujet s'éprouvait affecté : le style, c'est moins l'homme que l'Allocutaire du sujet, cet Autre d'où son discours lui revient, distordu d'avoir quêté sa place au lieu des signifiants. Qui décidera alors si cette parole est celle où s'emmure le sujet ou bien celle où il se délivre ?

L'impératif analytique garde, sous cette incidence, la saveur d'un paradoxe. « Wo es war, soll Ich werden », écrit Freud – « Là où c'était, traduit Lacan, là comme sujet dois-je advenir. » Car j'ai beau ignorer en quoi je suis la cause de ce qui était, il me faut « assumer ma propre causalité », promouvant peu à peu à l'être ce dont je ne pouvais pas savoir qu'il constituait les fondements de mon avenir. Mais pourquoi le sujet devrait-il « s'assumer », dira-t-on, puisque de facto ses actes ne cessent de le poursuivre ? Sans doute est-ce que le sujet existe d'autant plus qu'il consent davantage à s'asservir. Car c'est en pénétrant toujours plus avant dans le vaste champ du non subjectivable – ce champ dont l'imposteur, seul, tente de feindre l'arbitrage – que l'être humain se réalise comme sujet, c'est-à-dire non comme individu autonome, mais comme être innommable, fendu par la conscience d'être chaque fois débouté de l'image et du discours, d'où pourtant il prend ses seuls contours.

— Baldine SAINT GIRONS

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