Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

STALINE JOSEPH VISSARIONOVITCH DJOUGACHVILI dit (1879-1953)

Le fonctionnement de la dictature stalinienne

L'accès à une documentation profondément renouvelée par l'ouverture des archives soviétiques a permis aux historiens de mieux comprendre le fonctionnement de la dictature stalinienne. Les documents aujourd'hui accessibles (protocoles du Politburo, correspondance de Staline avec ses plus proches collaborateurs) montrent comment, dans les années 1930, Staline modifia et détourna à son profit exclusif les rouages des instances collégiales de direction du parti au nom d'une nécessaire centralisation, rendue indispensable, selon lui, par la prolifération anarchique des bureaucraties du nouvel État industriel. Staline imposa progressivement sa logique de « clan », policière et despotique, en restreignant les sphères d'autonomie des administrations de l'État.

Une étape décisive dans cette évolution est franchie à la fin de l'année 1930, lorsque le plus proche collaborateur de Staline, Molotov, est nommé à la tête du Conseil des commissaires du peuple, dirigé jusqu'alors par Rykov, l'une des principales figures de l'opposition dite « de droite ». « Nous aurons enfin, écrit à cette occasion Staline à Molotov, une parfaite unité des sommets de l'État et du parti, ce qui renforcera notre pouvoir. » Contrairement à la thèse développée par Trotski (Staline, « créature de la bureaucratie »), il apparaît que Staline fut plutôt, selon la forte formule de l'historien Moshe Lewin, « l'Antéchrist de la bureaucratie ». Contre l'État menacé de dysfonctionnement par les « cercles de famille bureaucratiques », Staline développe sa vision d'un État réduit à un groupe restreint, constitué de quelques collaborateurs fidèles, capables de « s'affranchir de la tutelle des bureaucrates en s'entourant de gens nouveaux, qui croient en notre cause » (lettre de Staline à Kaganovitch, 19 septembre 1931). Les congrès du parti s'espacent (aucun congrès du parti n'est convoqué entre 1939 et 1952, alors que, dans les années 1920, il se réunissait chaque année). Le Politburo se réunit de moins en moins souvent en séance plénière (85 séances en 1930, 20 en 1935, 6 en 1937, 3 en 1938, 2 en 1939). Les décisions les plus importantes, engageant l'avenir du pays, sont prises au cours de réunions informelles regroupant, dans le bureau de Staline, ses plus proches collaborateurs. Le « style de commandement » de Staline associe refus de toute délégation de pouvoir et interventionnisme permanent et minutieux sur toutes les affaires jugées d'importance. De ce point de vue, la dictature personnelle de Staline apparaît aux antipodes de la dictature hitlérienne fondée sur le « principe charismatique » du Führer et sur un style de commandement « néo-féodal », qui laissait une grande marge de manœuvre aux gauleiter nazis dans leurs fiefs régionaux.

La mise en place de la dictature personnelle de Staline passe par l'élimination d'une grande partie des élites politiques, économiques et militaires issues de la première génération bolchevique, par la destruction de tous les liens politiques, personnels, professionnels ou administratifs générateurs de solidarités qui n'avaient pas pour origine l'adhésion inconditionnelle à la politique de Staline, et par la promotion d'une nouvelle strate de dirigeants qui devraient leur carrière au Guide et lui seraient totalement dévoués.

Ce processus se déroula, pour l'essentiel, dans les années qui précédèrent la Seconde Guerre mondiale, et tout particulièrement en 1936-1938, années de la « Grande Terreur ». Le renouvellement des cadres fut spectaculaire : plusieurs dizaines de milliers de responsables politiques, économiques et militaires furent arrêtés et exécutés. Au début de 1939, 293 des 333 secrétaires régionaux du parti et 26 000 des 33 000 hauts[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Nicolas WERTH. STALINE JOSEPH VISSARIONOVITCH DJOUGACHVILI dit (1879-1953) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Staline fiché - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Staline fiché

Lénine et Staline - crédits : Laski Diffusion/ East News/ Hulton Archive/ Getty Images

Lénine et Staline

Churchill et Staline à la conférence de Yalta, 1945 - crédits : Keystone/ Getty Images

Churchill et Staline à la conférence de Yalta, 1945

Autres références

  • LE JEUNE STALINE (S. Sebag Montefiore)

    • Écrit par Nicolas WERTH
    • 1 090 mots

    Après le succès mondial de Staline : la cour du Tsar rouge, le journaliste britannique, romancier et présentateur de télévision Simon Sebag Montefiore s'est attaqué à la jeunesse du futur dictateur dans Le Jeune Staline (Calmann-Lévy, Paris, 2008). Dès l'introduction, l'auteur annonce son...

  • ANTISÉMITISME

    • Écrit par Esther BENBASSA
    • 12 229 mots
    • 9 médias
    ...polonais et quelques communistes (42 victimes), révèle la persistance des mêmes mécanismes de haine en dépit du génocide commis pour ainsi dire la veille. De son côté, Staline exploite dès 1946 cet antisémitisme populaire, en ordonnant l'élimination des membres du Comité antifasciste juif, qui débute avec...
  • ANTONOV-OVSEÏENKO VLADIMIR ALEXANDROVITCH (1884-1938)

    • Écrit par Claudie WEILL
    • 421 mots

    Fils d'officier, Antonov-Ovseïenko entre à l'école des cadets de Voroneje. Il quitte l'armée, adhère dès 1901 au mouvement révolutionnaire et se rapproche des mencheviks en 1903. Lors de la révolution de 1905, il est l'un des experts militaires de la social-démocratie russe. Il essaye de soulever...

  • BERIA LAVRENTI PAVLOVITCH (1899-1953)

    • Écrit par Georges HAUPT
    • 276 mots

    Tout-puissant chef de la police soviétique, Lavrenti Pavlovitch Beria a été pendant de longues années le bras droit de Staline. Né en Géorgie dans une famille de paysans, Beria adhère au Parti communiste en 1917 à Bakou, où il obtient son diplôme d'architecte en 1919. En 1921, il entre dans...

  • BLÜCHER VASSILI KONSTANTINOVITCH (1890-1938)

    • Écrit par Michel HOANG
    • 788 mots

    Issu d'un milieu de paysans, Blücher, qui exerce de multiples petits métiers, est emprisonné de 1910 à 1913, vraisemblablement pour incitation à la grève.

    La Grande Guerre en fait un officier mobilisé dans l'armée du front sud-ouest. Hospitalisé entre 1915 et 1916, il reprend bientôt...

  • Afficher les 82 références

Voir aussi