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ROGER BACON (1212/1220-1292)

Polémiste infatigable, philosophe hardi, mathématicien, logicien, grammairien et expérimentateur accompli, Roger Bacon est la figure la plus originale de la pensée franciscaine du xiiie siècle. Se disant lui-même « très savant en toutes sciences » et lecteur d'Aristote « plus qu'aucun autre » avant lui, il est à la fois le premier promoteur de la méthode expérimentale et le plus grand linguiste de son temps.

Un souci de réorganiser le savoir

Né dans le Dorsetshire entre 1212 et 1220, Roger Bacon étudie les arts à Oxford puis à Paris, où il conquiert la maîtrise et où il est l'un des premiers à commenter la Physique et la Métaphysiqued'Aristote. De retour à Oxford en 1247, il se consacre aux « études expérimentales » sous l'influence de Robert de Lincoln (Grosseteste) puis entre dans l'ordre franciscain avant de revenir à Paris en 1257. Là, il est contraint au silence, ne pouvant ni enseigner ni publier sans censure préalable. En 1265, le pape Clément IV (Guy Foulques) lui demande communication de ses travaux, n'ayant pas compris qu'ils n'étaient encore qu'à l'état de projet. Obligé de rédiger en quelques mois un Écrit principal qui couvrirait toutes les branches négligées du savoir, Bacon ne peut guère que multiplier les esquisses et les programmes, produisant ainsi successivement trois préambules plus ou moins achevés : l'Opus maius, l'Opus minus et l'Opus tertium (1267). Après la mort de Clément IV, il continue d'accumuler les réalisations partielles : travaux de linguistique (grammaire grecque, grammaire hébraïque), de mathématiques, de physique, de perspective, d'astronomie, d'alchimie et de médecine, avant de donner, vers 1271-1272, les premiers éléments organisés d'une vaste encyclopédie de la philosophie (Compendium philosophiae). Entre 1277 et 1279, le ministre général de l'ordre franciscain, Jérôme d'Ascoli, le fait emprisonner pour « certaines nouveautés suspectes ». Bacon meurt en 1292, laissant une dernière œuvre, le Compendium studii theologiae.

Assez traditionnelle dans son contenu, empruntant à la fois aux maîtres parisiens et à la théologie franciscaine, la philosophie générale de Bacon s'accorde souvent avec celle de saint Bonaventure. C'est ainsi, par exemple, qu'elle reprend la thèse de l'unité essentielle de la matière – distinguée dans les trois espèces de la matière spirituelle (des êtres séparés et impassibles), de la matière sensible (des corps sublunaires soumis à la fois au mouvement et au changement) et de la matière intermédiaire (des corps célestes soumis au seul mouvement) – et qu'elle accueille les notions de pluralité des formes et de degrés formels.

La psychologie de Roger Bacon est plus difficile à classer. On y distingue trois grandes phases, des commentaires parisiens d'Aristote aux trois Opera. Dans ses Quaestiones supra undecimum primae philosophiae Aristotelis, il fait de l' intellect agent et de l'intellect possible deux parties – l'une supérieure, l'autre inférieure – de l'âme humaine. Dans ses Quaestiones alterae, il rejette cette opinion, qu'il attribue à tort à Averroès, et il se range à l'avis d'« Alfarabi, d'Aristote, d'Avicenne et des théologiens » qui font de l'intellect agent une « intelligence séparée ». Dans ses œuvres ultérieures – notamment dans les trois Opera –, il identifie l'intellect agent à Dieu. Cette évolution se retrouve dans sa conception de l'immortalité de l'âme – tour à tour fixée dans l'intellect agent puis dans l'intellect possible – et jusque dans son épistémologie générale, où, après avoir tenté d'accommoder la psychologie aristotélicienne à la doctrine augustinienne des « deux raisons » (supérieure et inférieure),[...]

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Écrit par

  • : agrégé de philosophie, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses), chaire histoire des théologies chrétiennes dans l'Occident médiéval

Classification

Pour citer cet article

Alain de LIBERA. ROGER BACON (1212/1220-1292) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • THÉORIE DE L'ARC-EN-CIEL

    • Écrit par Bernard PIRE
    • 194 mots

    Né à Ilchester (Angleterre) et mort à Oxford, le moine franciscain philosophe et théologien Roger Bacon (vers 1220-1292) appartient à l'école d'Oxford où il fut le disciple de Robert Grosseteste (vers 1175-1253), après avoir été étudiant à Paris. Dans l'Opus maius envoyé...

  • ALCHIMIE

    • Écrit par René ALLEAU, Universalis
    • 13 642 mots
    • 2 médias
    ...produisent, selon cet auteur, une infinie variété de combinaisons. Le feu, la couleur et le son émettent aussi des radiations. Ces théories furent connues de Roger Bacon. Elles semblent avoir été ignorées d'Albert le Grand. Bacon y fut initié oralement par un adepte inconnu qu'il nomme « le maître des expériences...
  • ANALOGIE

    • Écrit par Pierre DELATTRE, Universalis, Alain de LIBERA
    • 10 427 mots
    ...hiérarchique, modelée sur la quantité d'être réalisée en chaque étant. Analogie et hiérarchie communiquent dans l'intensité ontologique. Comme le souligne Roger Bacon (Compendium studii theologiae, 1292 env.), métaphysiquement, les genres doivent être prédiqués, d'abord et plus proprement, « des espèces...
  • ASTRONOMIE

    • Écrit par James LEQUEUX
    • 11 339 mots
    • 20 médias
    ...qui veut en modifier un iota. Cela va stériliser, pour quelques siècles encore, tout progrès scientifique. Il faut cependant citer le moine franciscain Roger Bacon (entre 1212 et 1220-1292), qui relève des imprécisions dans les écrits d'Aristote, introduit les premiers raisonnements mathématiques et recommande...
  • AVICENNE, arabe IBN SĪNĀ (980-1037)

    • Écrit par Henry CORBIN
    • 8 902 mots
    • 1 média
    Le docteur le plus représentatif en fut sans doute Roger Bacon, au xiiie siècle. Cet « augustinisme avicennisant » obéit à la nécessité de « crever le plafond de l'univers avicennien » (Gilson) pour aller jusqu'à Dieu. Il transfère à Dieu « en personne » les perfections et la fonction illuminative de...
  • Afficher les 8 références

Voir aussi