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ROGER BACON (1212/1220-1292)

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Les mathématiques et l'expérience

« Type accompli de l'augustinisme avicennisant » pour les uns, « aristotélicien néoplatonisant » pour les autres, Bacon échappe définitivement à toute classification dès qu'il s'adonne à la pratique effective des sciences. Mathématiques et langues sont pour lui les indispensables instruments de la réforme de l'organisation du savoir chrétien programmée dans les sept livres de l'Opus maius. Les mathématiques, parce que la nature opère selon les lois de la géométrie – la diffusion de la lumière, pensée comme « multiplication des espèces » selon « les lignes, les angles et les figures », est à la fois le modèle et l'illustration de la physique véritable. Les langues, parce que la sagesse des philosophes est le fruit d'une révélation dans l'histoire, qui suppose, pour le chrétien, la maîtrise d'au moins quatre langues : l'hébreu, le chaldéen, le grec, l'arabe.

À la fois mystique et rationaliste, Bacon voit d'emblée l'unité consubstantielle des sciences et de la théologie. C'est ainsi, par exemple, qu'on ne saurait expliquer le phénomène de l'arc-en-ciel sans combiner les données des mathématiques, de l'expérience et de l'exégèse, puisqu'elles nous en livrent respectivement les causes matérielle, efficiente et finale. La « science expérimentale » n'en reste pas moins le couronnement de toutes les sciences de la nature, car, si les mathématiques sont pour ainsi dire ancrées dans la réalité, seule l'expérience peut nous « faire voir » la loi géométrique enveloppée dans les phénomènes. Encore cet « examen » des phénomènes n'est-il pas un simple inventaire passif. En les provoquant, en les faisant varier, l'expérimentateur oblige la nature à se « montrer ». Confirmant les sciences spéculatives, l'expérience conduit aussi à l'innovation technologique. La machine apparaît alors comme l'instrumentation humaine de la nature. La réforme des études théologiques souhaitée par Bacon livre ici son sens véritable : c'est une réforme de la société chrétienne par la science et la sagesse. Si les sept vices de la théologie exposés dans l'Opus minus se ramènent finalement à deux – l'ignorance des sciences et les erreurs d'exégèse –, cette double dénonciation en implique une autre, dont le point d'application est social et ecclésial : celle de la « corruption des états du monde », de l'« impéritie des théologiens » et de la « démission des séculiers ».

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Écrit par

  • : agrégé de philosophie, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses), chaire histoire des théologies chrétiennes dans l'Occident médiéval

Classification

Pour citer cet article

Alain de LIBERA. ROGER BACON (1212/1220-1292) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Autres références

  • THÉORIE DE L'ARC-EN-CIEL

    • Écrit par
    • 194 mots

    Né à Ilchester (Angleterre) et mort à Oxford, le moine franciscain philosophe et théologien Roger Bacon (vers 1220-1292) appartient à l'école d'Oxford où il fut le disciple de Robert Grosseteste (vers 1175-1253), après avoir été étudiant à Paris. Dans l'Opus maius envoyé...

  • ALCHIMIE

    • Écrit par et
    • 13 642 mots
    • 2 médias
    ...produisent, selon cet auteur, une infinie variété de combinaisons. Le feu, la couleur et le son émettent aussi des radiations. Ces théories furent connues de Roger Bacon. Elles semblent avoir été ignorées d'Albert le Grand. Bacon y fut initié oralement par un adepte inconnu qu'il nomme « le maître des expériences...
  • ANALOGIE

    • Écrit par , et
    • 10 427 mots
    ...hiérarchique, modelée sur la quantité d'être réalisée en chaque étant. Analogie et hiérarchie communiquent dans l'intensité ontologique. Comme le souligne Roger Bacon (Compendium studii theologiae, 1292 env.), métaphysiquement, les genres doivent être prédiqués, d'abord et plus proprement, « des espèces...
  • ASTRONOMIE

    • Écrit par
    • 11 339 mots
    • 20 médias
    ...qui veut en modifier un iota. Cela va stériliser, pour quelques siècles encore, tout progrès scientifique. Il faut cependant citer le moine franciscain Roger Bacon (entre 1212 et 1220-1292), qui relève des imprécisions dans les écrits d'Aristote, introduit les premiers raisonnements mathématiques et recommande...
  • AVICENNE, arabe IBN SĪNĀ (980-1037)

    • Écrit par
    • 8 902 mots
    • 1 média
    Le docteur le plus représentatif en fut sans doute Roger Bacon, au xiiie siècle. Cet « augustinisme avicennisant » obéit à la nécessité de « crever le plafond de l'univers avicennien » (Gilson) pour aller jusqu'à Dieu. Il transfère à Dieu « en personne » les perfections et la fonction illuminative de...
  • Afficher les 8 références