Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

PHOTOGRAPHIE (art) L'académisme

Pour les historiens de la peinture et de la sculpture, l' académisme est une normalisation esthétique émanant d'un enseignement institutionnalisé. L'emploi de ce mot ne serait donc licite au regard de la photographie qu'à partir de 1929, date de la création officielle du premier cours de photographie dispensé par Walter Peterhans à l'école du Bauhaus. Cette interprétation stricto sensu confine évidemment à l'absurdité, car ce qui est fondé dans le domaine de la peinture ne saurait l'être sans autre forme de procès dans le domaine de la photographie.

En effet, l'académisme est omniprésent au fil de l'histoire de la photographie et même repérable dès l'invention du procédé. Les premiers praticiens, Daguerre en particulier, étaient d'anciens peintres ou dessinateurs qui se sont empressés d'appliquer à la nouvelle image les préceptes en vigueur dans la peinture officielle, en particulier la peinture d'histoire. L'exemple de Jacques Louis Mandé Daguerre est à ce sujet exemplaire. Daguerre était passé maître dans l'art du trompe-l'œil. Il inventa un spectacle, le diorama, au cours duquel il pouvait, par des jeux de lumière, modifier l'atmosphère ou la composition de grandes scènes peintes des deux côtés d'une fine toile. C'est pour faciliter son travail de peintre qu'il chercha à fixer l'image de la chambre noire et, devant son insuccès, s'appropria la découverte de Nicéphore Niepce. La photographie n'était donc pas encore inventée que les règles de la peinture, telles que la perspective ou le réalisme, pesaient déjà sur son destin.

À la fin du xixe siècle, une production à vrai dire plus « maniériste » que véritablement académique s'est développée à la faveur du pictorialisme (1890-1914). Ce mouvement a engendré un puissant réseau d'enseignement parallèle – les photo-clubs – responsable de la régénérescence permanente de l'académisme le plus classique dans la pratique quotidienne et familiale de la photographie au xxe siècle. L'académisme y prend la forme de ce que Pierre Bourdieu a si justement appelé « un art moyen », analyse que l'on peut parfaitement appliquer à la période à laquelle cet article va se consacrer : l'âge d'or de la photographie académique en France et en Angleterre durant les années 1850-1880, marquée en effet par une parfaite adéquation entre le recours aux normes conventionnelles et la fonction éthique attribuée à la photographie.

L'héritage de la peinture

La plupart des photographes travaillant en France sous le second Empire sont d'anciens peintres ayant étudié dans les ateliers de Léon-Jean Gérôme, Paul Delaroche et même Ingres. Parmi eux, Gustave Le Gray, Henri Le Secq, Charles Marville et Charles Nègre ont réussi avec subtilité à nourrir leur photographie au contact de la peinture. Mais la grande majorité de leurs pairs, artistes ratés reconvertis en photographes, ne sont que de pâles imitateurs de l'art qui a, à l'époque, l'honneur des Salons. Ils ont recours à la photographie pour pallier leurs propres carences et ne retiennent du procédé que ce qu'ils ne peuvent produire eux-mêmes : l'exactitude du rendu. Tout le reste, oserait-on dire, n'est que « peinture » : poses maniérées des personnages, accumulation de draperies, toiles peintes et accessoires de grand bazar ; le tout photographié de préférence selon la technique du calotype, qui, par la texture de son négatif papier, brouille la netteté trop crue des contours et crée des effets d'atmosphère recherchés pour leur connotation « artistique ». On retiendra surtout de cette vaste production les natures mortes d'Adolphe Braun (1812-1877) ou de Charles Carey (actif de 1861 à 1880), composées à la manière des trophées antiques,[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur de communication à l'Institut supérieur des sciences sociales et pédagogiques de Marcinelle, Belgique, chargé de cours à l'université de Liège

Classification

Médias

<em>Mrs Herbert Duckworth</em>, J. M. Cameron - crédits : Bibliothèque nationale de France

Mrs Herbert Duckworth, J. M. Cameron

Deux enfants à l'ombrelle, J. M. Cameron - crédits : Julia Margaret Cameron/ Hulton Archive/ Getty Images

Deux enfants à l'ombrelle, J. M. Cameron

Hard Times, O. G. Rejlander - crédits : Oscar Gustav Rejlander/ Getty Images

Hard Times, O. G. Rejlander

Autres références

  • LA PHOTOGRAPHIE CONTEMPORAINE (M. Poivert)

    • Écrit par
    • 958 mots

    La photographie, pour être une technique – et c'est sans doute là sa seule définition générale et incontestable –, désigne aussi ce que produit cette technique, c'est-à-dire des photographies, en d'autres termes l'ensemble de ces objets visuels, issus de la mécanique et de la chimie, qui appartiennent...

  • AARONS SLIM (1916-2006)

    • Écrit par
    • 175 mots

    Photographe américain. Entré dans l'armée à dix-huit ans, en 1935, George Allen « Slim » Aarons devient bientôt photographe officiel de l'Académie militaire de West Point. La guerre le conduit en Afrique du Nord et en Italie comme reporter en campagne. Il en revient blessé et décoré, mais surtout séduit...

  • ABDESSEMED ADEL (1971- )

    • Écrit par
    • 989 mots

    L'œuvre photographique qui a servi de manifeste à l'exposition du Centre Georges-Pompidou à Paris, du 3 octobre 2012 au 7 janvier 2013, montre l'artiste debout devant la porte de son atelier parisien. Adel Abdessemed, l'œil à demi fermé, croise les bras devant sa poitrine et s'offre au feu qui,...

  • ACTIONNISME VIENNOIS

    • Écrit par
    • 2 242 mots
    L'appareil photographique favorise cette nouvelle forme d'art. Contraignant (cadrage, éclairage, composition), il pousse l'artiste à se concentrer totalement sur son action, au cours de laquelle il manipule objets, matériaux, corps humains et animaux. Véritable outil de contrôle, l'appareil photographique...
  • ADAMS ANSEL (1902-1984)

    • Écrit par et
    • 1 687 mots
    • 2 médias

    Célèbre photographe américain, emblématique d'un mouvement prônant une photographie artistique « pure », Ansel Adams a contribué, au cours des années 1930, à définir une nouvelle voie esthétique se distinguant de la photographie « pictorialiste » alors en vogue. Au sein du groupe f/64, dont il est...

  • Afficher les 243 références