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PICTORIALISME

Le mouvement pictorialiste a duré deux décennies, de 1890 à 1910 environ. Son nom provient de l'expression anglaise pictorial photography dans laquelle pictorial est un dérivé du mot picture qui peut signifier « peinture » mais dont le sens correct est « image ». Le pictorialisme est donc une photographie créatrice qui veut faire reconnaître la prééminence de l'image sur le réel photographié.

Le mouvement se met en place grâce à la convergence de plusieurs conjonctures : technique, économique, socio-politique et esthétique. Depuis 1870, les progrès techniques développent un matériel photographique au maniement de plus en plus simplifié dont l'évolution aboutit au fameux « clic-clac Kodak » (« you press the button, we do the rest ») de George Eastman en 1888. Un public croissant n'achète plus des photographies mais le moyen de les produire. Cette démocratisation de la technique ne concerne guère la population prolétaire, trop pauvre, mais profite surtout aux classes moyennes et à la nouvelle bourgeoisie qui apparaît à la faveur du déclin du libéralisme et de l'accession au pouvoir des partis démocrates. Cette nouvelle bourgeoisie a besoin de définir son identité et son rôle dans un univers agité par les luttes ouvrières. Elle cherche, en un mot, une représentation que le pictorialisme va contribuer à lui donner. Puisque la science avait mis la photographie à la portée du plus grand nombre, il fallait, pour conserver le privilège de la pratique photographique et se démarquer de son usage de masse, la soumettre à des règles qui favorisent ceux qui les maîtrisent, c'est-à-dire des règles qui soient difficilement transmissibles. Or, ces règles s'exercent dans un domaine dont le prestige est infaillible : l'art. Que la photographie soit un art : tel sera le grand projet esthétique de la bourgeoisie à la fin du xixe siècle.

Bien qu'il n'y ait pas eu de manifeste du pictorialisme, une idée majeure ressort des nombreux textes écrits en son nom : le réel ne peut plus être le seul objet de la photographie ; il doit être interprété par un individu dont le tempérament, autant que le réel lui-même, détermine la représentation. Pour personnaliser le regard de l'objectif, les pictorialistes développent une série de « techniques de distanciation ». Inspirés par les théories naturalistes de Peter H. Emerson, ils recherchent les effets d'atmosphère. George Davison, Alfred H. Hinton, Léonard Misonne, Alfred Stieglitz et Alvin L. Coburn utilisent la brume, la pluie ou la neige, la fumée ou la poussière pour jeter un voile, élever un écran entre le réel photographié et son image. La lumière elle-même, traitée en clair-obscur par Eduard (ou Edward) Steichen, F. Holland Day ou Gustave Marissiaux, peut reléguer dans l'ombre telle part de réalité, tel fragment de visage que le photographe souhaite effacer. Les décadrages de Pierre Dubreuil, les perspectives à coulisses de Frederick H. Evans ou l'emploi des objectifs anastigmats par Puyo (ceux-ci noient l'objet photographié dans un flou optique artificiel) sont encore d'autres moyens de mettre, dès la prise de vue, le réel à distance. Au tirage, les pictorialistes emploient les procédés de « dépouillement » (charbon, gomme bichromatée, huile) pour estomper, éclaircir, brosser voire effacer certaines parties de l'épreuve. Les frères Oskar et Theodor Hofmeister à Hambourg, le groupe de la « Feuille de trèfle » à Vienne (Heinrich Kühn, Hugo Henneberg, Hans Watzek) font disparaître le réalisme des objets sous un traitement formel qui confine parfois à l'abstraction. Frank Eugene à New York et Robert Demachy à Paris mènent les techniques de brossage et de grattage à la limite de l'expressionnisme.

Pour défendre leurs idées et leurs œuvres, les photographes amateurs créent de grandes[...]

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Écrit par

  • : professeur de communication à l'Institut supérieur des sciences sociales et pédagogiques de Marcinelle, Belgique, chargé de cours à l'université de Liège

Classification

Pour citer cet article

Marc-Emmanuel MÉLON. PICTORIALISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - Les arts plastiques

    • Écrit par François BRUNET, Éric de CHASSEY, Universalis, Erik VERHAGEN
    • 13 464 mots
    • 22 médias
    ...mondains et brillants pour Sargent, plus introspectifs chez Whistler, intimes et japonisants chez Cassatt. En photographie, le courant impressionniste et pictorialiste qui occupa le devant de la scène à la fin du siècle, emmené par Alfred Stieglitz, fut lui aussi, initialement au moins, féru de portraits....
  • HANNON ÉDOUARD (1853-1931)

    • Écrit par Marc-Emmanuel MÉLON
    • 710 mots

    Photographe amateur, né à Ixelles, dans la banlieue de Bruxelles, d'une famille de la haute bourgeoisie belge, Édouard Hannon fit des études d'ingénieur à l'université de Gand. La célèbre firme de produits chimiques Solvay le chargea, en 1877, de fonder une succursale à Dombasle, en Lorraine française....

  • HILL DAVID OCTAVIUS (1802-1870)

    • Écrit par Marc-Emmanuel MÉLON
    • 933 mots
    • 1 média

    Peintre de paysages à l'origine, David Octavius Hill est surtout connu pour son œuvre de photographe, qu'il entreprit en collaboration avec le calotypiste Robert Adamson (1821-1848).

    Originaire de Perth, en Écosse, et issu d'une famille nombreuse vivant de l'édition, Hill entreprend...

  • JAPON (Arts et culture) - Les arts

    • Écrit par François BERTHIER, François CHASLIN, Universalis, Nicolas FIÉVÉ, Anne GOSSOT, Chantal KOZYREFF, Hervé LE GOFF, Françoise LEVAILLANT, Daisy LION-GOLDSCHMIDT, Shiori NAKAMA, Madeleine PAUL-DAVID
    • 56 170 mots
    • 35 médias
    ...nationale industrielle de 1877 invite Ueno, Matsuzaki Shinji et Ichida Sota (1843-1896) à présenter leurs travaux en productions artistiques reconnues. Le courant pictorialiste qui apparaît en 1890 en Europe et aux États-Unis gagne le Japon, avec tous ses artifices. Les techniques d'estompe au bromoïl...
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Voir aussi