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PHONOLOGIE

Phonologie et sociolinguistique

Les phonologies structurales reposent sur un postulat, plus ou moins explicité, selon lequel les différents sujets d'une communauté ne peuvent espérer se comprendre qu'en possédant le même système linguistique et, notamment, le même système phonologique. Ce dernier est donc conçu comme un ensemble organisé d'invariants. De leur côté, les générativistes ont formulé des règles devant correspondre à la pratique linguistique d'un locuteur-auditeur idéal. Ce faisant, les uns et les autres ont travaillé sinon sur des objets mythiques, tout au moins sur des simplifications particulièrement sévères des réalités du fonctionnement linguistique.

Les sociolinguistes américains, à l'origine d'une telle critique, constatent qu'une langue implique hétérogénéité et variation. Si les sujets d'une même communauté parviennent à se comprendre, alors que leur langue évolue sans cesse, s'ils peuvent revendiquer l'utilisation de la même langue, alors qu'ils n'en possèdent ni les mêmes usages, ni les mêmes habitudes, ni les mêmes représentations, c'est que la structuration de cette langue ne saurait être aussi rigoureuse et homogène que le pensaient les linguistes.

Certes, des phonologues comme Martinet ou Jakobson avaient signalé, incidemment, la variabilité et la non-homogénéité des systèmes phonologiques, mais ces remarques étaient restées marginales face aux pressions de l'idéologie structurale. Partant du postulat selon lequel la langue est un phénomène social, les diverses phonologies avaient fini par constituer des structures, ou des séquences de règles, homogènes, dont le fonctionnement et le dynamisme ne pouvaient provenir que des dispositions internes à la langue, reproduisant en cela l'idéologie « animiste » de la linguistique historique du xixe siècle.

La sociolinguistique a donc porté son attention sur la variation des faits linguistiques. Cette variation n'est pas un phénomène externe, occasionnel, marginal ou extrastructurel, mais la traduction directe dans le langage de sa nature et de sa fonction sociales. Elle doit donc être prise en compte de manière frontale, faute de quoi l'affirmation du caractère social du langage resterait une pétition de principe sans effet. Dans la mesure où elle est le résultat et la réactualisation de facteurs sociaux, cette variation doit être considérée comme l'un des moteurs du fonctionnement synchronique et diachronique de la langue. Les systèmes phonologiques, moins rigidement structurés qu'on ne l'avait imaginé, seraient donc soumis à des pressions sociales considérées dès lors comme internes à la langue. Si certaines pressions sociales portent directement sur la globalité du système, d'autres, plus visibles, concernent les effets de la politique linguistique d'une communauté sur le comportement subjectif, conscient ou inconscient, des sujets. Nous trouvons là les phénomènes d'hypercorrection mis en lumière par Labov dans ses travaux sur le new-yorkais.

La prise en compte de la variation amène donc une remise en cause des modèles antérieurs mais déplace, en même temps, les limites entre disciplines. La phonologie avait en effet limité son objet à l'étude des seuls faits distinctifs, renvoyant ainsi dans l'ombre des variantes libres la diversité de réalisation des phénomènes. Rejeter l'étude des réalisations, qui constituent l'un des aspects de la variation phonique, pour l'affecter à des branches jugées marginales de l'analyse linguistique – comme la phonétique ou la phonostylistique – revient à faire du social un critère externe au langage.

La sociolinguistique invitait donc l'ensemble des écoles phonologiques à une restructuration sérieuse, qui a été en partie accomplie, dans la mesure où la plupart des phonologues[...]

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Écrit par

  • : professeur de sciences du langage à l'université de Provence, Aix-Marseille-I
  • : linguiste, maître de conférences en sciences du langage, directeur du département des sciences du langage, Aix-en-Provence, université de Provence-Aix-Marseille-I
  • : docteur d'État, professeur de linguistique générale à l'université de Provence-Aix-Marseille-I

Classification

Pour citer cet article

Jean Léonce DONEUX, Véronique REY et Robert VION. PHONOLOGIE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Langue polonaise : les phonèmes consonantiques - crédits : Encyclopædia Universalis France

Langue polonaise : les phonèmes consonantiques

Autres références

  • PHONOLOGIE ARTICULATOIRE

    • Écrit par Ioana CHITORAN, Pierre HALLÉ
    • 1 040 mots
    • 2 médias

    La phonologie articulatoire est une théorie phonologique, proposée dans les années 1980 par Cathy Browman et Louis Goldstein, qui s’appuie sur des observations empiriques. Elle a été influencée par les idées de Sven Öhman et de Carol Fowler sur la coproduction (production simultanée) des consonnes et...

  • ANALYSE & SÉMIOLOGIE MUSICALES

    • Écrit par Jean-Jacques NATTIEZ
    • 5 124 mots
    • 1 média
    En linguistique, le modèle phonologique a pour objectif de déterminer quels sons appartiennent en propre à une langue : le japonais ne distingue pas entre l et r, le français distingue entre le é de « chantai » et le è de « chantais », l'allemand entre le ch de « Kirche » (église)...
  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Langue

    • Écrit par Guy Jean FORGUE, Hans KURATH
    • 6 289 mots
    • 2 médias
    L'anglais possède des consonnes occlusives (ou momentanées) et fricatives (ou continues), sourdes (comme p ou f) ou sonores (comme b ou v), et des consonnes résonnantes sonores (nasales, latérales et semi-voyelles). Toutes ces consonnes se trouvent en position d'initiales de mots, à l'exception...
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  • APPRENTISSAGE DES LANGUES ÉTRANGÈRES

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    Les recherches sur l’apprentissage des langues étrangères ont d’abord été liées au domaine de la psycholinguistique, puis à celui du bilinguisme. Elles prennent actuellement davantage en compte les concepts de la psychologie cognitive : modalités d’apprentissage, automatisation, coût cognitif....

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