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PHONOLOGIE

La linguistique a vécu, dans les années 1960, des heures de gloire qu'elle n'avait jamais connues auparavant. Considérée comme science pilote, elle était susceptible d'offrir, à l'ensemble des sciences humaines, des concepts généraux et des modèles d'analyses. Des chercheurs comme Claude Lévi-Strauss, Roland Barthes ou Tzvetan Todorov illustrent les emprunts faits à la linguistique dans des domaines aussi différents que l'ethnologie, la sémiologie des comportements humains, la littérature.

Ce succès, la linguistique le doit principalement à sa méthode structurale, énoncée par Saussure dans son Cours de linguistique générale publié en 1916, et mise en application par les développements de la phonologie au seuil des années 1930. La phonologie représente, encore, l'exemple le plus achevé de l'analyse structurale, analyse qui est à l'origine du structuralisme dans les sciences de l'homme.

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En tant que discipline traitant de l'aspect phonique des langues naturelles, la phonologie s'est, dès le départ, opposée à la phonétique, discipline qui durant de longues périodes avait symbolisé l'attitude objective et scientifique au sein de la linguistique. En tant qu'inspiratrice de modèles, la phonologie est également à l'origine de nouvelles problématiques au sein des autres branches de la linguistique comme la morphologie, la lexicologie, la syntaxe ou la sémantique. L'extension, plus ou moins abrupte, de concepts et méthodes phonologiques à ces domaines s'est heurtée aussi bien à l'existence d'approches plus traditionnelles qu'à celle de nouveaux points de vue moins directement liés à l'essor phonologique.

S'il était possible d'établir des convergences entre les diverses écoles structurales (école bloomfieldienne aux États-Unis, école pragoise en Europe avec ces prolongements divergents que sont les écoles fonctionnalistes ou jakobsonienne), il a paru un temps moins simple de les comparer à la phonologie générative issue, dans les années 1960, de la grammaire générative de Chomsky.

À peu près à la même époque, la sociolinguistique s'est attachée à mettre en question la conception relativement homogène et quelque peu mythique de la langue, que laissaient supposer, chez certains auteurs, des descriptions phonologiques ne faisant aucune part aux variations régionales ou sociales chez les usagers, le système idéal prenant le pas sur la combinatoire réelle de systèmes en concurrence ou s'interpénétrant.

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En 1978, L. Bradley et P. E. Bryant démontrent l'importance de la phonologie dans la compréhension d'une pathologie liée à l'apprentissage de l'écrit : la dyslexie. Il s'agit de l'évolution de la capacité à dénommer les unités phonologiques dans une séquence lexicale. Les auteurs travaillant dans ce domaine parlent de « conscience phonologique » et admettent une relation causale entre l'acquisition de la lecture et les capacités en conscience phonologique. Ce concept de « conscience phonologique » a donné une méthodologie clinique pour appréhender des dysfonctionnements langagiers.

À partir des années 1980, la phonologie a connu de nouveaux développements, dont certains résultent d'une réflexion et d'un tri opérés sur les propositions des générativistes et la revendication des sociolinguistes, tandis que d'autres relèvent plus d'approfondissements théoriques exigés tant par les études diachroniques que par une considération attentive de faits phoniques attestés dans des langues non européennes.

Origines et problématiques de la phonologie

La phonologie est née presque simultanément en 1925, aux États-Unis, avec les travaux de Sapir puis ceux de Bloomfield et, en 1928, en Europe, avec les travaux du Cercle linguistique de Prague, dont Troubetzkoy et Jakobson furent les principaux animateurs.

Mais, avant ces débuts officiels, la phonologie avait été largement pressentie, soit par des précurseurs, comme Saussure ou Baudouin de Courtenay, soit par des phonéticiens comme Sweet ou Passy, soit, plus loin de nous, par les « inventeurs » d'écritures alphabétiques et par ceux qui, de tout temps, ont voulu décrire les sons d'une langue.

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D'une manière générale, l'intuition des unités linguistiques minimales liée à de bonnes connaissances phonétiques a souvent conduit à présenter des systèmes phoniques proches de ceux que permet de dégager l'analyse phonologique.

L'une des origines de la phonologie réside donc dans sa relation à la phonétique. Avec le développement de la phonétique expérimentale et l'affinement des observations portant sur les caractéristiques physiques des sons apparaît un besoin de hiérarchisation. Ne pas se perdre dans les détails d'une analyse physique, qui voit ses limites constamment élargies par l'apparition de nouvelles techniques, est l'une des préoccupations majeures de phonéticiens comme Sweet ou Passy.

Mais c'est principalement par le concept de phonème et donc par la distinction phonème/son que la phonologie va organiser son point de vue et différencier ainsi analyse linguistique et analyse physique. Cette distinction phonème/son a d'abord été exprimée à travers l'opposition réalité psychique/réalité physique. Qu'il s'agisse de Saussure ou de Sapir, le phonème a donc été appréhendé, au départ, comme l'équivalent psychique du son, reprenant ainsi la problématique de Baudouin de Courtenay qui opposait la psychophonétique (la phonologie) à la physiophonétique (la phonétique). Ceux qui, au départ, ont pensé la phonologie plus en rupture qu'en continuité par rapport à la phonétique ont donc été tentés par une définition psychique du phonème. Ceux qui, au contraire, ont vu en la phonologie plus de continuité que de rupture ont été tentés par une définition matérielle du phonème.

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Pour ces derniers, le phonème est alors une classe de sons présentant certaines propriétés physiques (D. Jones) et distributionnelles (écoles postbloomfieldiennes).

Seuls les linguistes de l'école de Prague ont tenté d'échapper à cette dichotomie. Pour rompre avec l'identification du phonème à sa matérialité, Troubetzkoy utilise dans un premier temps la distinction saussurienne entre langue et parole. La phonologie est ainsi une science des sons de la langue (les phonèmes) alors que la phonétique est la science des sons de la parole. Toutefois, il se différencie de Saussure dans la mesure où il refuse d'identifier les unités de la langue en termes de psychisme ou de conscience. Chez Troubetzkoy, le phonème n'est ni psychique ni physique. C'est l'une des valeurs d'un système linguistique, le système phonologique ; quant à la matérialité de ses réalisations phoniques et aux traces qu'il laisse dans la conscience individuelle et collective des sujets, elles ne sont que les effets d'une réalité qui se situe d'abord sur le terrain linguistique. Cependant, quelles que soient leurs divergences, toutes ces phonologies peuvent être appréhendées comme une manière linguistique de conduire l'analyse phonétique. Ainsi A. Martinet, l'un des continuateurs de l'école de Prague, définit la phonologie comme « une phonétique fonctionnelle et structurale ».

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Écrit par

  • : professeur de sciences du langage à l'université de Provence, Aix-Marseille-I
  • : linguiste, maître de conférences en sciences du langage, directeur du département des sciences du langage, Aix-en-Provence, université de Provence-Aix-Marseille-I
  • : docteur d'État, professeur de linguistique générale à l'université de Provence-Aix-Marseille-I

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