BUTOR MICHEL (1926-2016)
Michel Butor est né le 14 septembre 1926 à Mons-en-Barœul. Associé vers 1955 à Nathalie Sarraute, à Claude Simon, à Robert Pinget, à Alain Robbe-Grillet, dans le groupe littéraire appelé « nouveau roman », Michel Butor n'a cessé ensuite d'œuvrer solitairement. Les voyages et sa carrière d’enseignant l'ont mené loin de Paris : en Égypte, au Mexique, aux États-Unis, au Japon ; les réflexions sur le rôle de la littérature l'ont conduit loin de ce qui était présenté, ou imposé, comme une norme d'écriture ; si bien que son œuvre, après Degrés (1960), s'est trouvée être à l'opposé de ce qui avait été présenté par les théoriciens comme l'inéluctable avenir de la littérature. Après avoir introduit, dans le pseudo-réalisme du « nouveau roman », la volonté de conscience propre au surréalisme, Michel Butor s'est placé « aux antipodes » de la réduction de l'écriture à une littéralité ; puis a déplacé son effort d'attention sur les banlieues des genres littéraires, les lieux des interactions entre critique, fiction et poésie ; avant de se situer « à l'écart » critique du monde, pour maintenir une visée, accomplir sans déviance un projet. Mais se tenir hors des modes passagères, c'est risquer de ne devoir être reconnu que l'œuvre close, son auteur mort.
Au temps du « nouveau roman »
Au cours de son Intervention à Royaumont (Répertoire I, 1960), Michel Butor a évoqué ses tentations, opposées – celle de la poésie, celle de la philosophie –, et la façon dont le roman lui parut le lieu de leur possible conciliation, quand il commença à écrire. Sa poésie est alors toute dominée par l'œuvre d'André Breton. Les écrits de jeunesse de Butor, dont témoigne la première partie des Travaux d'approche (1972), font une place prépondérante à la métaphore, selon les principes de l'esthétique surréaliste. Mais au goût de la trouvaille Michel Butor associe immédiatement l'attention pour les constructions poétiques. Les grands poèmes de Breton, dont l'Ode à Charles Fourier, le mènent à s'interroger sur la composition du monde des images. Utilisant le schéma de l'immeuble, le roman Passage de Milan (1954) organise des cellules narratives, où se développent librement des récits, des monologues intérieurs et des rêves, dans une structure contraignante qui assure leurs relations et impose l'idée de l'interdépendance des éléments. De cette attention à un aspect particulier du surréalisme, celui qui gère tant les œuvres de Roussel que celles de Duchamp, témoignent encore son admiration pour Fourier (La Rose des vents, 1970), son attention pour les correspondances organisées (Portrait de l'artiste en jeune singe, 1967).
De son premier roman se dégage nettement l'impression que le système réaliste, tel qu'il est en usage dans la littérature de consommation courante, est insuffisant pour rendre compte de notre situation au monde. Il incite le lecteur à prendre pour la totalité ce qui n'est qu'une de ses facettes, et ne provoque nul nouvel examen de sa vision du monde. Un roman autrement organisé vise au contraire à faire advenir le lecteur à une conscience nouvelle de sa situation. Tel est le devoir moral de la littérature.
Si l'étiquette de « nouveau roman » rendait bien compte de ce qui était récusé (un roman exploitant des formes traditionnelles), elle négligeait la spécificité de chacun des auteurs, en particulier de Nathalie Sarraute ou de Robert Pinget, qui ne jugeaient pas utile de théoriser leur pratique. Les seules proclamations d' Alain Robbe-Grillet, puis de ses disciples, à savoir que le texte, sans origine ni fin hors de lui, n'avait d'existence que littérale, que sa seule vérité était celle de son déroulement, semblèrent des vérités indiscutables. La façon d'envisager l'œuvre de Raymond Roussel peut passer pour la pierre de touche de l'opposition de Michel Butor aux principes d'Alain Robbe-Grillet. En effet, Michel Butor propose moins de lire les livres de Roussel pour la façon dont ils sont faits que pour la raison qui oblige l'auteur à les rendre tels. Il signale ainsi, discrètement, qu'il se tient à l'opposé des intentions qu'on lui prête avec légèreté. Ni doctrinaire ni polémiste, Butor prenait ses distances par ses réalisations littéraires. De la même façon, contestant le Baudelaire de Jean-Paul Sartre, il allait y répondre par Histoire extraordinaire (1961) ; son intention n'étant pas de détruire un livre, mais de démontrer sa partialité par une plus ample proposition de lecture.
Dès 1959, au cours de son Intervention à Royaumont, Michel Butor voyait dans le roman le genre littéraire par l'intermédiaire de quoi la réalité « peut prendre conscience d'elle-même pour se critiquer et se transformer ». La forme nouvelle, vers laquelle il tendait, lui paraissait pouvoir être qualifiée de « didactique » et d'« épique ». Malgré les publications de L'Emploi du temps (1956) et de La Modification (1957), ces épithètes parurent archaïques ou ironiques, tant était forte la volonté de rendre la littérature libre, indépendante et gratuite, contre l'intention sartrienne d'en faire le lieu d'un témoignage et d'un engagement. Mais, dans Degrés (1960), ce projet se réalisait dans toute son ampleur. Le roman n'est pas didactique par son contenu mais par sa forme. Le chapitre initial de tous les ouvrages de Michel Butor établit une sorte de constat de base posant les rapports qui permettent élémentairement de les associer : le présent d'entrée dans le compartiment de chemin de fer (La Modification) est lié au souvenir des derniers gestes accomplis à Paris, et à l'anticipation de l'arrivée à Rome ; les rapports d'un professeur et de deux de ses élèves au cours d'une leçon sur la découverte de l'Amérique sont donnés pour le sujet de Degrés. Le roman a pour objet de modifier progressivement l'idée du monde que se fait le lecteur jusqu'à l'inverser, ce qui s'opère par le biais d'une régulière et progressive « modification » de la structure du récit. Pour Michel Butor, nos erreurs sont dues à l'étroitesse de nos champs de pensée. Plus un système se développe, plus il englobe de notions, plus il a de chances de clarifier notre situation. Le didactisme n'est donc lié à aucun enseignement philosophique ou moral. C'est un problème formel, qui consiste à proposer au lecteur un modèle d'élaboration intellectuelle. Dès lors, la littérature nouvelle peut être qualifiée d'épique parce qu'elle prend pour sujet non un individu isolé, mais tout ce que la société et l'histoire lui donnent à voir, à sentir, à savoir. Le livre, du coup, n'est pas produit de rien, mais bien issu de toute la littérature en tant qu'elle est l'expression imagée de nos conceptions du monde, successives et critiques.
Accédez à l'intégralité de nos articles
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jean ROUDAUT : écrivain, professeur honoraire à la faculté des lettres de Fribourg (Suisse)
Classification
Média
Autres références
-
IMPROVISATIONS SUR BALZAC (M. Butor)
- Écrit par Alain CLERVAL
- 1 010 mots
Il n'existe pas de solution de continuité entre l'œuvre poétique, la fiction et l'étude critique dans l'œuvre de Michel Butor. Sa démarche s'inspire toujours de la volonté d'inscrire son propos, d'ordre narratif ou poétique, dans un cadre précisément délimité. Une géométrie...
-
MOBILE, Michel Butor - Fiche de lecture
- Écrit par Guy BELZANE
- 1 109 mots
- 1 média
Lorsqu'il publie Mobile en 1962 chez Gallimard, dans une collection blanche redimensionnée pour l'occasion dans un grand format presque carré, Michel Butor est pour ainsi dire un auteur à succès. En dépit ou peut-être en raison des polémiques qu'il a suscitées, le « nouveau roman » a fini...
-
LA MODIFICATION, Michel Butor - Fiche de lecture
- Écrit par Jean-Didier WAGNEUR
- 1 196 mots
- 1 média
Troisième roman de Michel Butor, La Modification a obtenu le prix Théophraste Renaudot en 1957. Cette distinction faisait suite au prix Fénéon et au prix des critiques qui avaient été attribués à deux romans d'Alain Robbe-Grillet, respectivement Les Gommes en 1954 et Le Voyeur en 1955....
-
ALCHIMIE
- Écrit par René ALLEAU et Encyclopædia Universalis
- 13 647 mots
- 2 médias
Dans une étude publiée par la revue Critique, en 1953,Michel Butor a analysé avec beaucoup de clarté les problèmes posés par l'alchimie et son langage : « Tant qu'une transmission orale était la règle, écrit-il, ces livres ont pu être des sortes d'aide-mémoire, chiffrés de façon très simple. Pour... -
ROMANTISME
- Écrit par Henri PEYRE et Henri ZERNER
- 22 174 mots
- 24 médias
...les autres appellations [...]. Quand on s'est débarrassé du romantisme, on est tombé généralement dans une désolante platitude » (Le Gant de crin, 1927). Michel Butor, l'un des plus perspicaces parmi les romanciers des années 1960-1970, a déclaré à un critique américain qui l'interrogeait en 1962 : « Il... -
RÉCIT DE VOYAGE
- Écrit par Jean ROUDAUT
- 7 129 mots
- 2 médias
...anciens à la vue des Indiens d'Amérique, comme Paul Claudel se promenant à Fribourg pensait être dans le décor des Maîtres chanteurs. Dans Boomerang de Michel Butor, ce sont nos ancêtres, jusqu'à ceux de l'âge du fer, qu'avec les aborigènes d'Australie nous allons rechercher, comme si, où qu'on aille,... -
KOERING RENÉ (1940- )
- Écrit par Juliette GARRIGUES
- 1 303 mots
Né à Andlau (Bas-Rhin) le 27 mai 1940, le compositeur français René Koering étudie le piano et le hautbois à Strasbourg. Très tôt, son intérêt se porte sur la théorie et l'écriture musicales. Dès l'âge de quinze ans, il se penche sur les conceptions dodécaphoniques et sérielles d'...
- Afficher les 9 références
Voir aussi