Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

MÉMOIRE COLLECTIVE

La notion de mémoire collective est issue des travaux de Maurice Halbwachs, Les Cadres sociaux de la mémoire (1925) et La Mémoire collective (1950). En rapprochant ces deux termes : mémoire et collectif, Halbwachs se proposait, tout d'abord, de démontrer que tout groupe organisé crée une mémoire qui lui est propre. Il poursuivit sa réflexion en démontrant que la mémoire individuelle s'appuie, dans les processus de remémoration et de localisation, sur des formes, sur des « cadres » issus du milieu social.

Une double perspective

Dans ses premiers travaux, comme dans ses articles ultérieurs, Halbwachs multiplie les études de cas – la famille, les classes sociales, les catégories professionnelles, les institutions – pour démontrer que c'est au sein de ces groupes qu'une mémoire est produite et partagée par leurs membres. Par exemple, chaque famille, à partir de la vie et des pratiques communes, forme une mémoire qui tient, pour une part, aux formes générales de la famille dans une culture donnée, et, pour une autre part, aux spécificités des rapports entre les participants. Cette mémoire familiale conserve le souvenir des rapports de parenté, des identités personnelles et des événements qui ont marqué l'histoire du groupe. Elle est dans un devenir permanent : elle ne cesse de s'enrichir de faits nouveaux de même qu'elle s'affaiblit à la mesure de la dispersion et de la disparition de ses membres.

La seconde perspective adoptée par Halbwachs, celle des cheminements mémoriels des individus, confirme la première. L'auteur met ici en question les conceptions de la psychologie traditionnelle, renouvelée par Henri Bergson (Matière et mémoire, 1896), faisant du souvenir une image obscurément conservée dans la mémoire et qui ferait irruption sans changement dans la conscience présente. Cette conception pourrait caractériser les rêves, dans leur surgissement et leur incohérence, mais la remémoration exclut une telle confusion. Le but d'Halbwachs est de démontrer combien le souvenir, sa reconnaissance et sa remémoration, sont l'objet d'un travail mental qui s'appuie tout d'abord sur des « cadres » spatio-temporels dont les formes ont été construites par la culture commune. Le passé est reconstruit, compris et repensé grâce à des éléments qui servent de repères et qui sont d'origine sociale.

De plus, ce processus de localisation ne se poursuit pas sans but. Il se déroule dans le présent et en est influencé. Nous recherchons les souvenirs dont nous avons besoin dans l'action présente et qui pourront l'éclairer. La réactualisation du passé par l'action présente constitue le propre de la mémoire collective, selon Roger Bastide (Mémoire collective et sociologie du bricolage, 1970). Grand lecteur d'Halbwachs, cet auteur pose toutefois au centre de sa propre réflexion le groupe en tant qu'organisation fondée sur des relations interindividuelles. À travers l'étude de l'adaptation des cultures « noires » du Nouveau Monde, il montre que, pour les membres du groupe, se rappeler, notamment leurs origines, signifie reconstruire le sens social de leurs propres actions en plein affrontement culturel. C'est pour les mêmes raisons que se produisent les oublis : les souvenirs qui ne trouvent plus de signification dans le présent sont effacés. Paul Ricœur avance même l'idée du devoir d'oubli, de nos obligations vis-à-vis du passé.

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur émérite, université de Paris-VII-Denis-Diderot

Classification

Média

Fin de la guerre d’Algérie, 1962 - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

Fin de la guerre d’Algérie, 1962

Autres références

  • LES LIEUX DE MÉMOIRE (dir. P. Nora)

    • Écrit par
    • 1 324 mots

    L'élégante collection Quarto des éditions Gallimard accueillait en 1997 Les Lieux de mémoire, en trois volumes et plus de 4 700 pages : l'ouvrage dirigé par Pierre Nora, initialement publié dans la Bibliothèque illustrée des histoires, chez le même éditeur, conserve sa dimension monumentale....

  • MÉMOIRE (histoire)

    • Écrit par
    • 1 989 mots

    Les historiens se sont longtemps méfiés de la mémoire comme mode de restitution du passé. Dans la hiérarchie des sources, le texte de caractère public passe avant le témoignage vécu rapporté par écrit, qui passe lui-même avant le témoignage de la mémoire transmise. Cette méfiance, qui a duré jusqu'aux...

  • MÉMOIRE COLLECTIVE (psychologie sociale)

    • Écrit par et
    • 1 040 mots

    La mémoire collective est un ensemble de représentations partagées du passé, basées sur une identité commune aux membres d’un groupe.

  • AFFICHE ROUGE L'

    • Écrit par
    • 2 508 mots
    • 2 médias
    Leur histoire fut longtemps méconnue, voire occultée. À la Libération, jouant à fond de son image de grand parti patriote, le PCF ne souhaitait pas mettre en avant les « étrangers » de la MOI. Puis, dès 1949-1950, la campagne antisémite lancée par Staline en URSS contribua à écarter nombre de militants...
  • AFRIQUE NOIRE (Culture et société) - Langues

    • Écrit par et
    • 8 307 mots
    • 1 média
    La mémoire est également privilégiée par l'institutionnalisation du savoir. Le patrimoine historique et culturel des communautés repose sur des individus spécialisés dans son maintien et dans sa transmission. Ainsi les griots du pays manding. Enfin, l'exercice de la parole est rythmé, et ce rythme est...
  • ANTHROPOLOGIE DES DIASPORAS

    • Écrit par
    • 1 792 mots
    La diasporicité, l’être en diaspora, n’est toutefois pas seulement une affaire discursive. Elle se pratique à travers la transmission d’une mémoire concernant le pays d’origine et l’histoire de l’émigration ou encore par les visites au pays d’origine ou les rassemblements entre différentes communautés...
  • ANTHROPOLOGIE DU PATRIMOINE

    • Écrit par
    • 4 702 mots
    • 2 médias
    ...avait marqué de son empreinte les usages et les manipulations des traces du passé. Elle a ainsi longtemps maintenu la différence entre la diversité des « mémoires collectives » (les récits mémoriels, partiels, orientés, pluriels et subjectifs) et le discours historique (scientifique et neutre) qui permettait...
  • Afficher les 49 références