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MÉMOIRE (histoire)

Les historiens se sont longtemps méfiés de la mémoire comme mode de restitution du passé. Dans la hiérarchie des sources, le texte de caractère public passe avant le témoignage vécu rapporté par écrit, qui passe lui-même avant le témoignage de la mémoire transmise. Cette méfiance, qui a duré jusqu'aux années 1960, n'était que l'une des formes de la dépréciation générale de la valeur intellectuelle de la mémoire qui s'est emparée de la culture européenne, à partir de la Renaissance, sous l'effet de l'expansion de l'imprimé. Le support de l'écrit permet à l'esprit de se libérer de la tâche de conservation de l'information pour se consacrer à d'autres tâches considérées comme plus nobles car plus créatrices. La dépréciation de la mémoire est nouvelle au xvie siècle. Jusqu'alors les techniques de mémorisation, appelées arts de la mémoire, faisaient partie à l'égal de la rhétorique ou de la théologie des disciplines universitaires, comme l'a montré l'historienne britannique Frances Yates dans L'Art de la mémoire (1966). Le besoin de mémoriser a encouragé une conception encyclopédique et interconnectée du savoir établissant des relations causales, symboliques ou analogiques entre les niveaux de la réalité.

Au xxe siècle, l'apparition de l'école des Annales n'a rien changé à la suspicion historienne à l'égard de la mémoire, ce qui donnerait à penser que Marc Bloch et Lucien Febvre restent attachés à une certaine forme de positivisme. Dans Les Rois thaumaturges (1924), Marc Bloch n'attribue aucun rôle spécifique à la mémoire dans la longue survivance du toucher des écrouelles au sein du rituel du sacre royal. Il s'intéresse essentiellement à la rémanence de très anciens archétypes dans la représentation du pouvoir royal et au problème de l'illusion collective. Ce silence des débuts des Annales à propos de la mémoire est d'autant plus troublant que Maurice Halbwachs, auteur de deux livres fondamentaux sur la mémoire collective (Les Cadres sociaux de la mémoire, 1935, La Mémoire collective, 1950), fait partie du comité de la revue et y collabore réguliérement.

Réhabilitation de la mémoire

La réhabilitation de la mémoire chez les historiens a partie liée avec le courant contestataire des années 1960 et les mouvements anticolonialistes qui invitent les peuples colonisés à tourner le dos aux travaux des historiens fondés sur les archives – donc sur le point de vue du colonisateur – et à puiser dans leur mémoire collective pour retrouver leur propre histoire. Cette réhabilitation de la mémoire et de la transmission orale aux dépens de l'écrit est passée des peuples colonisés aux groupes sociaux qui se sentent victimes à la fois d'une oppression sociale et d'une aliénation intellectuelle. Les paysans, les ouvriers, les femmes, les descendants d'immigrés, les minorités régionales prétendent retrouver, par le biais d'une mémoire collective transmise oralement, leur histoire particulière occultée par l'histoire savante qui s'est faite l'instrument d'un pouvoir oppresseur. Dans les années 1970, à l'instar des ethnologues qui utilisent l'enquête orale pour reconstituer l'histoire d'une population restée étrangère à la culture écrite, nombre de jeunes historiens contestataires se sont mis à recueillir au magnétophone les souvenirs de leurs grands-parents ou de leurs voisins âgés, anciens ouvriers, paysans, ou immigrés. Par un véritable retournement épistémologique, la mémoire, dont la science historique s'était méfiée longtemps à cause de son instabilité, devient alors le refuge de l'innocence et de l'authenticité, le tabernacle d'un passé préservé des réécritures opportunistes des historiens soumis au pouvoir en place.[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

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Pour citer cet article

André BURGUIÈRE. MÉMOIRE (histoire) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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