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MACHIAVEL (1469-1527)

La pensée de Machiavel

Il existe donc un machiavélisme, assez cohérent si on fait abstraction des gauchissements qu'il a dus aux « circonstances », assez constant en tout cas pour avoir inspiré continûment les textes commandés et pour avoir été explicitement thématisé dans les traités cardinaux de l'exil.

Les pôles de la pensée de Machiavel portent des noms : fortuna et virtù. La nature du politique en découle et, sans doute, ne peut être comprise qu'à partir de ces mots. Ils avaient été utilisés avant lui, sporadiquement ; mais c'est lui qui en a fait des concepts opératoires, porteurs d'un pouvoir organisationnel tel qu'ils ont inauguré, à partir de lui et pour la première fois, une élaboration de l'univers politique qui porte désormais son estampille. La rencontre de ces deux notions permet d'en comprendre une troisième, celle de pouvoir.

« Fortuna »

La nature des choses est neutre en ce qui touche l'organisation politique des groupes humains. Il n'existe évidemment que « la nature » – en ce sens précis que n'existe aucun « arrière-monde » –, mais cette nature ne décide ni ne prédétermine rien. La notion de fortune remplit donc dans le système une fonction complexe, destinée à dégager le champ de l'action. On peut essayer de la caractériser, même s'il est difficile de lui donner une définition entièrement conceptuelle. D'abord, la fortune ne se présente jamais « en personne » à l'homme d'action, mais sous la forme de son corrélat pratique, qui est « l'occasion de la fortune ». Pour l'homme d'action, le réel est morcelé, fait de changements locaux, sans aucune aperception du Tout. La fortune est ce qui fragilise la pratique et la prive de toute emprise « réelle », donc de toute garantie ; elle ne se conjugue jamais au futur, et dès qu'on veut en parler au présent, elle s'évanouit en s'atomisant sous les espèces de la pluralité des « occasions » disjointes.

Ensuite, l'homme de savoir lui-même, quand il entreprend de se mêler de l'action, ne peut que « conseiller » les Grands. Son savoir de la pratique n'a pas pour objet l'avenir : il ne contient jamais qu'une mémoire du passé. L'intellectuel est « historien », et l'histoire est une discipline de la mémoire, non de l'intelligence inductive. L'historia, en effet, s'édifie à partir des ressemblances des faits et pratique des comparaisons. Le modèle en vient de loin, des historiae latines, grands récits édifiants et instructifs qui traitent de cas et d'hommes illustres, De viris illustribus, récits toujours ouverts à des récits ultérieurs. Le savoir ne sera jamais fait que de l'accumulation de cas racontés. Dès lors, pour le penseur, la fortune permet de formuler cette idée capitale, selon laquelle les événements pourront après-coup être intégrés dans un tout. Quoi qu'il arrive, et sans qu'on puisse rien prévoir, on doit penser que ce qui s'est produit peut être intégré dans la somme du pensable. Claude Lefort dans Le Travail de l'œuvre, Machiavel exprime ainsi l'abîme qui sépare l'intellectuel machiavélien de l'homme d'action : « d'un premier point de vue, le théoricien paraît embrasser l'histoire dans toute son étendue [...]. Mais, d'un autre point de vue, nous voyons le théoricien condamné à raisonner sur le passé [...]. Le prince a le mérite [...] de déchiffrer dans le présent les signes de ce que sera la figure des conflits à venir et de faire ainsi, dans la pratique de l'anticipation, l'épreuve du calcul infini [...]. Semblable au médecin dont la vertu est de formuler son diagnostic quand la maladie n'est encore qu'à son début, il l'emporte, nous dit Machiavel, sur celui qui, du fait qu'elle s'est développée, dispose de tous les éléments de certitude mais s'avère[...]

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Pour citer cet article

Jean-François DUVERNOY. MACHIAVEL (1469-1527) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

<it>Machiavel</it>, attribué à A. Pollaiuolo - crédits :  Bridgeman Images

Machiavel, attribué à A. Pollaiuolo

Autres références

  • LE PRINCE, Nicolas Machiavel - Fiche de lecture

    • Écrit par Jean-Louis FOURNEL, Jean-Claude ZANCARINI
    • 734 mots
    • 1 média

    Comprendre les enjeux de l'écriture du Prince implique d'avoir à l'esprit les incessantes guerres d'Italie et leur effet sur Florence, la cité de Machiavel (1469-1527). Tout a été bouleversé par l'arrivée des troupes françaises en Italie en 1494. À Florence, l'...

  • ALTHUSSER LOUIS (1918-1990)

    • Écrit par Saül KARSZ, François MATHERON
    • 4 570 mots
    Le texte le plus bouleversant de l'œuvre posthume d'Althusser est sans aucun doute Machiavel et nous, fruit d'un long détour par Machiavel commencé en 1962 et jamais terminé. Althusser présente le problème de Machiavel comme celui du commencement à partir de rien, c'est-à-dire d'une révolution. En...
  • ART (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 3 282 mots
    ...l’individu-artiste contribuant par la beauté qu’il produit à magnifier l’individu de pouvoir qui le soutient. Ce n’est nullement un hasard si, à la même époque, le Florentin Machiavel (1469-1527) est le premier à concevoir la politique comme relevant d’un acte créateur, d’une volonté individuelle, du vouloir...
  • BODIN JEAN (1529-1596)

    • Écrit par Pierre MESNARD
    • 4 649 mots
    • 1 média

    Les œuvres de Jean Bodin sont maintenant traduites en plusieurs langues ; souvent rééditées, elles font l'objet de nombreuses études aussi bien en Italie et aux États-Unis qu'en France ; Bodin apparaît aux yeux des critiques comme l'un des plus grands philosophes politiques de tous les temps. Cela...

  • BORGIA CÉSAR (1476-1507)

    • Écrit par Universalis, Michael Edward MALLETT
    • 949 mots

    Fils naturel du futur pape Alexandre VI, né vers 1476, probablement à Rome, mort le 12 mai 1507, près de Viana (Espagne), César Borgia a élargi le pouvoir politique de la papauté et a tenté d'établir sa propre principauté dans le centre de l'Italie. Sa politique inspira le Prince...

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Voir aussi