Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

MASSIGNON LOUIS (1883-1962)

Géopolitique spirituelle du monde contemporain

À cette vision « intérioriste » de l'histoire repérée aux points obscurs de son insertion dans la douleur correspond ainsi, dans l'œuvre de Massignon, l'ébauche d'une géopolitique spirituelle à laquelle il conviendrait de référer toutes ses prises de position politiques et son action comme Français, ami des Arabes et des musulmans, puis « ami de Gandhi ». Son affinité avec le Mahātmā remonte à 1921, date à laquelle il donnait, dans la Revue du monde musulman, une traduction d'un texte majeur sur l'idéal du Satyagrahi entendu comme une « revendication civique du vrai ». Mais c'est surtout après la Seconde Guerre mondiale et dans les combats de la décolonisation qu'on peut reconnaître une période gandhienne de Massignon, succédant à la période ḥallāgienne, puis abrahamique. Son adoption de l'idéal de la non-violence était d'autant plus profonde que son engagement dans les combats en question était plus total. Aussi y aurait-il à voir comment son loyalisme à l'égard de son pays d'origine, loin de trouver un démenti ou quelque compromission dans ce devenir universel, représente à ses yeux la plus grande fidélité non à son devenir personnel, mais au devenir de ce même pays. D'ailleurs, on verrait là que ce que Massignon considérait comme une « vocation musulmane de la France » et qu'il faisait remonter à Saint Louis, mais aussi à François Ier, n'est qu'un panneau du grand tableau d'ensemble où la fidélité socratique aux lois de la cité est illuminée par le bûcher de Jeanne d'Arc, messagère de la liberté pour tous les opprimés. C'est peut-être dans sa méditation de Jeanne d'Arc, mais aussi de Marie-Antoinette (comme de Charles de Foucauld en son temps) que l'on peut suivre au mieux le cheminement de cette conversion intérieure permanente de Massignon : depuis son entrée à Jérusalem en compagnie de Lawrence au terme de la Première Guerre mondiale et sa participation aux tractations franco-anglaises sur le Moyen-Orient qui l'ont accompagnée, jusqu'à son retour en cette même Jérusalem après la Seconde Guerre mondiale pour secourir les réfugiés, promouvoir une éthique internationale où les droits du sacré soient reconnus et proposer, dans une détermination résolue contre le sionisme israélien, de concert avec ses grands amis juifs (Magnes et Buber), une réconciliation à égalité, non point entre Israël et Ismaël, mais entre judaïsme, christianisme et islam cultivant en Terre sainte un « jardin d'enfant de l'humanité ».

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Youakim MOUBARAC. MASSIGNON LOUIS (1883-1962) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ÉCRITS MÉMORABLES (L. Massignon)

    • Écrit par Yves LECLAIR
    • 977 mots

    Louis Massignon (1883-1962), savant et écrivain, chrétien et islamologue, enseignant et homme politique, est une figure célèbre et atypique de l'orientalisme français du xxe siècle.

    Son œuvre abondante, trop souvent réduite à sa thèse magistrale consacrée à La Passion d'al-̣Hallāj...

  • ḤALLĀDJ AL (858 env.-922)

    • Écrit par Georges C. ANAWATI
    • 1 985 mots

    Attachante figure, à la vérité, que celle d'al-Ḥallādj, mystique musulman mort sur un gibet, à Bagdad, pour avoir chanté l'amour de Dieu en des termes que l'islam officiel jugea blasphématoires. Depuis que Massignon lui consacra, en 1922, son livre monumental, sa personne se profile, à...

  • HERMÉTISME

    • Écrit par Sylvain MATTON
    • 4 971 mots
    • 1 média
    ...aux awliyā en général pendant le cycle de la walāyat succédant au cycle de la prophétie législatrice ». En revanche, ainsi que l'a noté Louis Massignon, la thèse hermétique selon laquelle l'essence divine peut, grâce aux prières, être contrainte à s'« infondre » dans une idole ou un saint,...
  • LYRISME

    • Écrit par Jamel Eddine BENCHEIKH, Jean-Pierre DIÉNY, Jean-Michel MAULPOIX, Vincent MONTEIL, René SIEFFERT
    • 10 725 mots
    • 2 médias
    ...dû couler ses oppositions de timbres vocaliques (a/â, e/i, o/u) dans le moule sémitique des différences de « quantité » ou de « longueur ». Louis Massignon faisait, en 1950, à propos de Shushtarî, le « Verlaine andalou » enterré à Damiette en 1269, cette observation capitale : « Au lieu que,...
  • ORIENTALISME, art et littérature

    • Écrit par Daniel-Henri PAGEAUX, Christine PELTRE
    • 10 996 mots
    • 8 médias
    En 1922, l'année même où Barrès rédige son Enquête aux pays du Levant, un orientaliste, Louis Massignon, publie sa thèse sur le mystique persan Al-Hallaj. Il fait taire le rêve pour méditer sur des traditions philosophiques séculaires. Avec cette œuvre monumentale et avec cet homme, la page...

Voir aussi