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MASSIGNON LOUIS (1883-1962)

Sous le signe d'Abraham

En fait, la vision abrahamique de l'islam, qui vient dans une phase ultérieure corroborer la vision ḥallāgienne, correspond à une autre correction massignonienne de l' orientalisme. L'œuvre ḥallāgienne commençait par revendiquer, dans le Lexique technique, l'originalité de la mystique musulmane dans son inspiration coranique, au détriment d'autres dépendances chrétienne, juive ou indienne. Il en est de même de la descendance abrahamique musulmane. À la suite des examens orientalistes déjà classiques, Snouck-Hurgronje proposait, sous le couvert de la distinction entre les périodes mekkoise et médinoise du Coran et en rapport avec un Mahomet homme d'État supplantant à Médine l'annonciateur mekkois du Jugement, deux représentations coraniques d'Abraham. À l'encontre de cette distinction, Massignon confirme l'opinion de Lidzbarski sur l'accomplissement de la vision abrahamique du Coran dès La Mekke et défend l'unité de la mission de Mahomet et du message interprété par lui.

Cette question, reprise dans une étude de Youakim Moubarac que Massignon a préfacée, semble être la pierre de touche de la science orientaliste quand elle s'attaque à l'islam dans ses origines et se prononce, suivant les influences juive ou chrétienne qu'elle dit s'être exercées sur Mahomet, sur le problème de sa « sincérité ». On reconnaît un signe de la sensibilité de l'islam à ces questions fondamentales dans le fait que le propagateur de la théorie de Snouck dans l'Encyclopédie de l'Islam, sous l'article « Ibrāhīm », n'a jamais pu siéger à l'Académie du Caire.

On saisira du même coup la confusion qui règne chez les théologiens autant que le malentendu profond qui couve entre l'islam et l'orientalisme, lorsqu'on voit un ouvrage sur le « mystère d'Ismaël », dédié à Massignon après sa mort, reprendre en fait la théorie de Snouck dont Massignon s'était désolidarisé, pour proposer une vision de l'islam sous le signe du fils d'Agar, face au judaïsme et au christianisme placés sous le signe du fils de Sara. Quoi qu'on puisse dire de cette association pleine d'ambiguïté, il importe au moins de préciser que Massignon n'a jamais reconnu au judaïsme une existence israélienne qui serait appuyée sur une reconnaissance parallèle d'un islam ismaélite confiné du même coup au désert. C'est à Jérusalem en effet que Massignon reconnaît éminemment les destinées de l'islam, corrigeant par l'intransigeance désertique de sa foi les compromissions de l'espérance messianique et de la charité chrétienne et revendiquant contre tout accaparement de la Promesse, non point la part d'Ismaël pour l'islam, mais l'héritage d'Abraham pour tous les croyants.

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Pour citer cet article

Youakim MOUBARAC. MASSIGNON LOUIS (1883-1962) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ÉCRITS MÉMORABLES (L. Massignon)

    • Écrit par Yves LECLAIR
    • 977 mots

    Louis Massignon (1883-1962), savant et écrivain, chrétien et islamologue, enseignant et homme politique, est une figure célèbre et atypique de l'orientalisme français du xxe siècle.

    Son œuvre abondante, trop souvent réduite à sa thèse magistrale consacrée à La Passion d'al-̣Hallāj...

  • ḤALLĀDJ AL (858 env.-922)

    • Écrit par Georges C. ANAWATI
    • 1 985 mots

    Attachante figure, à la vérité, que celle d'al-Ḥallādj, mystique musulman mort sur un gibet, à Bagdad, pour avoir chanté l'amour de Dieu en des termes que l'islam officiel jugea blasphématoires. Depuis que Massignon lui consacra, en 1922, son livre monumental, sa personne se profile, à...

  • HERMÉTISME

    • Écrit par Sylvain MATTON
    • 4 971 mots
    • 1 média
    ...aux awliyā en général pendant le cycle de la walāyat succédant au cycle de la prophétie législatrice ». En revanche, ainsi que l'a noté Louis Massignon, la thèse hermétique selon laquelle l'essence divine peut, grâce aux prières, être contrainte à s'« infondre » dans une idole ou un saint,...
  • LYRISME

    • Écrit par Jamel Eddine BENCHEIKH, Jean-Pierre DIÉNY, Jean-Michel MAULPOIX, Vincent MONTEIL, René SIEFFERT
    • 10 725 mots
    • 2 médias
    ...dû couler ses oppositions de timbres vocaliques (a/â, e/i, o/u) dans le moule sémitique des différences de « quantité » ou de « longueur ». Louis Massignon faisait, en 1950, à propos de Shushtarî, le « Verlaine andalou » enterré à Damiette en 1269, cette observation capitale : « Au lieu que,...
  • ORIENTALISME, art et littérature

    • Écrit par Daniel-Henri PAGEAUX, Christine PELTRE
    • 10 996 mots
    • 8 médias
    En 1922, l'année même où Barrès rédige son Enquête aux pays du Levant, un orientaliste, Louis Massignon, publie sa thèse sur le mystique persan Al-Hallaj. Il fait taire le rêve pour méditer sur des traditions philosophiques séculaires. Avec cette œuvre monumentale et avec cet homme, la page...

Voir aussi