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INTÉRÊT, sciences humaines et sociales

Le moi au service de la pulsion de mort

Les questions que soulève d'un point de vue analytique l'analyse de Schreber se détermineront avec la seconde topique. Pour pouvoir développer les suggestions qu'elles apportent dans la construction du concept d'intérêt, il nous faut comprendre, en effet, comment s'opère la mutation des investissements sexuels en ces investissements entés sur la culture collective qui « représentent » – au sens fort du terme – la face subjective de la sublimation. La solution freudienne, dans le contexte de la seconde topique, consiste à situer le moi en une position de pivot entre les investissements libidinaux, qu'il désexualise, et la pulsion de mort, au service de laquelle il opère.

En un premier temps de la construction intervient un déplacement d'investissement, sous l'égide de l' identification : constitution de la libido du moi. « Le moi se substitue au ça dans ses fixations aux objets, aussi bien dans les fixations précoces que dans celles des phases plus évoluées de la vie. Il le fait en s'appropriant leur libido et en l'intégrant à la modification qu'il a subie par suite de l'identification. » En un second temps s'annonce le rôle des pulsions de mort : « À cette transformation de la libido du ça en libido du moi se rattache naturellement un renoncement aux buts sexuels, une désexualisation [...]. En s'appropriant ainsi la libido attachée aux objets vers lesquels le ça est poussé par ses tendances érotiques, en se posant comme le seul objet d'attachement amoureux, en désexualisant ou en sublimant la libido du ça, le moi travaille à l'encontre des intentions d'Éros, se met au service de stimulations pulsionnelles opposées. » Encore conviendra-t-il de souligner un autre aspect de cette désexualisation : « Le surmoi, on le sait, est né à la faveur d'une identification avec le prototype paternel. Toute identification de ce genre suppose une désexualisation, voire une sublimation. Or il semble qu'une pareille transformation doive être accompagnée d'une dissociation des pulsions. Après la sublimation, les éléments érotiques ne sont plus assez forts pour immobiliser tous les éléments destructifs, qui se manifestent alors par une tendance à l'agression et à la destruction. D'une façon générale, si l'idéal se présente sous les traits durs et cruels de l'impérieux “tu dois”, c'est à cette dissociation qu'il le doit. » Si l'on décompose les hypothèses de la seconde topique selon leurs dimensions principales, on reconnaîtra qu'elles nous proposent, des différents problèmes que nous a découverts une description génétique encore naïve de l'intérêt, un commentaire suggestif. Le ça désignant l'adhérence de l'individu à son environnement, l'intérêt, dirions-nous, traduit l'appropriation de ces investissements impersonnels sous l'égide de l'identification. Le moi, auquel il s'intégrera « aussi bien dans les fixations précoces que dans celles des phases plus évoluées de la vie », nous désigne en effet, de par l'investissement dont il devient lui-même l'objet en ses positions successives, le régisseur des activités assumées par le sujet sur le théâtre de ses intérêts. Il les assume, ces activités, en tant qu'il se pose lui-même en sa différence, et, dans cette mesure, il désexualise la libido ou énergie du ça. Référons-nous, en effet, pour aborder ce thème, au développement qu'a connu la notion freudienne de la sexualité. « On peut dire, écrivait Freud en 1907, que le but de la sexualité est de substituer à la sensation d'excitation projetée dans la zone érogène une excitation extérieure qui l'apaise et crée un sentiment de satisfaction. » Qu'exprime donc la désexualisation, sinon précisément la mise hors circuit de cette intervention extérieure, mise hors circuit en vertu de laquelle l'activité du sujet se donne dans le déploiement de l'intérêt une orientation purement[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre

Classification

Pour citer cet article

Pierre KAUFMANN. INTÉRÊT, sciences humaines et sociales [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Découverte de soi - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Découverte de soi

Autres références

  • INTÉRÊT (sociologie)

    • Écrit par François VATIN
    • 1 332 mots

    Les usages les plus anciens du mot « intérêt » en français, attestés dès le xiiie siècle, sont d’ordre financier (profit du prêt d'argent) ou juridico-économique (dommages et intérêts). Ce n’est qu’au xvie siècle, que réapparaît le sens large issu du latin : « Ce qui importe,...

  • ABSTENTIONNISME

    • Écrit par Daniel GAXIE
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    ...électorale et sociale. Plus les individus sont disposés à s'occuper et à se préoccuper de politique, plus ils ont des chances de voter régulièrement. Or l'intérêt pour les questions politiques est plus élevé (en moyenne) chez les hommes et chez les générations intermédiaires et il augmente avec le niveau...
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    À elle seule,la catégorie de l'intérêt ne suffit donc pas à donner une explication de la participation, ainsi que l'avait déjà révélé Mancur Olson (Logique de l'action collective, 1965) en soulevant le paradoxe de l'action collective qu'on avait tendance, malgré le fameux exemple...
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  • FAMILLE - Sociologie

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    • 5 325 mots
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    ...institution nécessaire au maintien du bonheur individuel et social, les deux étant indissociables : l'État doit donc protéger le mariage et la famille dans la mesure où les « intérêts sociaux » y sont directement engagés. Pour Durkheim, la conduite des conjoints est, en effet, subordonnée à l'intérêt...
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