Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

INDIVIDUALISME

Considéré par Max Weber, dans L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme (1905), comme recouvrant et mélangeant « les notions les plus hétérogènes que l'on puisse imaginer », le terme « individualisme » désigne la doctrine qui accorde à l'individu une valeur intrinsèquement supérieure à toute autre et ce dans tous les domaines – éthique, politique, économique –, où toujours priment les droits et les responsabilités de ce dernier. Pierre Birnbaum et Jean Leca, dans l'introduction d'un recueil d'études Sur l'individualisme (1986), ont apporté une clarification qui en propose trois versions : « descriptif », « justificatif » et « explicatif » . Ce qui relève de la caractérisation, ce qui vise la légitimation, et ce qui se rapporte à l'individualisme méthodologique se trouvent donc logiquement séparés.

Origine de l'individualisme

Hormis ce dernier aspect, qui concerne la méthodologie des sciences sociales, la question se pose de l'origine et du développement de cette doctrine, donc de l'avènement de l'individu et son affirmation en tant qu'incarnation de valeurs. La réponse est donnée dans un scénario historique qui, selon Louis Dumont (Essais sur l'individualisme, 1983), situe l'émergence de l'individu à la fin du Moyen Âge et sa véritable entrée en scène à l'époque de la Renaissance et de la Réforme ; aux xviie et xviiie siècles, un ensemble assez homogène de théories éthico-politiques le prennent alors en charge. Ce scénario est conforme au processus décrit par Norbert Elias dans La Dynamique de l'Occident (trad. 1975) et qui trouve sa conclusion dans La Société des individus (trad. 1991). Il s'ajuste au schéma conceptuel de Michel Foucault qui montre que l'individu, libéré par les Lumières, a été enchaîné par une modernité qui n'a déployé ses différences que pour mieux l'assujettir.

De cette montée de l'individualisme, indissociable d'un agrandissement de la sphère sociale et d'une transformation du droit – celle de la coutume en loi, l'individu recherchant désormais la garantie de sa personne et de ses biens dans des règles juridiques écrites –, les théoriciens anglais du xviie siècle devaient tirer toutes les conséquences pour le gouvernement civil, en accordant une place prééminente aux idées de possession et de propriété. Qu'on les doive aux niveleurs (adversaires de Cromwell), à James Harrington ou à John Locke, ces conceptions nouvelles déterminent leur représentation du corps social et informent leurs théories de l'obligation politique. Elles ont toutes en commun de fonder l'individualisme possessif, qui a donné son titre à un important ouvrage de Crawford Brought Macpherson (1962).

La critique traditionaliste de l'individualisme a été engagée sous la Révolution française par Joseph de Maistre, Louis de Bonald et tous les penseurs de la contre-révolution, pour lesquels il représente la dissolution de la vie en commun. À l'âge romantique, et singulièrement en Allemagne, ce n'est pas la tradition mais l'idée de totalité qui se trouve opposée aux doctrines individualistes du xviiie siècle : la philosophie de l'histoire qu'ont en partage Hegel et Marx contient la réfutation de la conception d'un individu souverain et autonome. En France, il revient à Benjamin Constant d'avoir pensé à nouveaux frais les données du problème posé par le développement de l'individualisme. Dans De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes (1819), il a montré comment le souci de jouir en sécurité de ses biens propres dans l'espace domestique a remplacé le partage du pouvoir social entre tous les membres de la cité. Mais c'est Alexis de Tocqueville qui a tiré toutes les conséquences[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-V-Sorbonne, secrétaire général de L'Année sociologique

Classification

Pour citer cet article

Bernard VALADE. INDIVIDUALISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • INDIVIDUALISME ET HOLISME

    • Écrit par Rémi LENOIR
    • 1 280 mots

    L'histoire des sciences sociales est souvent présentée selon l'opposition entre deux traditions : la première considère que les phénomènes sociaux ont une nature qui leur serait propre, indépendamment des consciences et des volontés individuelles (le holisme, du grec holos, le « tout...

  • CONFORMISME (psychologie)

    • Écrit par Michel CHAMBON, Michaël DAMBRUN
    • 1 027 mots
    ...aspirations et les intérêts individuels, elle apparaît bien moins désirable dans la société occidentale contemporaine. Elle y contrevient en effet à l'individualisme ambiant et à la promotion d'un idéal d'indépendance et d'autonomie. Composer avec un tel contexte culturel pousse parfois les individus...
  • CONSCIENCE DE CLASSE

    • Écrit par Michel LALLEMENT
    • 986 mots

    L’expression « conscience de classe » appartient au répertoire marxiste. Afin de définir une classe sociale, Karl Marx ne s’en tient pas à l’unique critère de la place occupée dans le rapport de production. En reprenant à son compte une sémantique hégélienne, il propose aussi de distinguer...

  • CORPS - Cultes du corps

    • Écrit par Bernard ANDRIEU
    • 5 059 mots
    • 1 média
    Bientôt pointe l'idée que le corps n'aurait plus de devoirs, mais seulement des droits. L'hyperindividualisme, le chacun pour soi et le culte de la réussite individuelle, si possible en écrasant l'autre, marquent cet ultralibéralisme des années 1990. Il entraîne un affaiblissement, un rejet, voire une...
  • DIVISION DU TRAVAIL SOCIAL

    • Écrit par Claude JAVEAU
    • 1 290 mots

    La division du travail est l'un des concepts les plus anciens des sciences du social. Il concerne toute organisation stable ayant pour effet de coordonner des individus ou des groupes se livrant à des activités différentes, mais intégrées les unes par rapport aux autres. Selon l'économie politique...

  • Afficher les 16 références

Voir aussi