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HISTOIRE (Histoire et historiens) Vue d'ensemble

L'histoire comme justification de la politique, comme caution de la mémoire des groupes, l'histoire redécouverte par les autres sciences humaines et sociales sont autant de signes qui témoignent de l'actualité du travail des héritiers d'Hérodote. Les articles qui suivent entendent montrer l'état de la discipline aujourd'hui. À l'heure du règne de l'expertise et de l'interdisciplinarité, il importe de comprendre en quoi le savoir et les démarches de l'historien sont spécifiques et possèdent encore des caractères propres qui présentent un intérêt pour l'anthropologue, le sociologue, le géographe, etc.

Longtemps, l'histoire a été définie comme science du passé avec pour conséquence de ne rendre compte que des traces et des phénomènes, tandis que le sociologue ou l'anthropologue les observent à l'œuvre. Qu'il s'agisse, pour Jules Michelet (1798-1874), de viser à la résurrection intégrale du passé ou, pour Michel de Certeau (1925-1986), de considérer le temps de l'histoire comme mort pour mieux constituer l'objet de la science historique, le passé fait figure d'objet de l'histoire. Pourtant, par glissements successifs, cette évidence est aujourd'hui remise en question. Tout d'abord, l'incorporation de dimensions historiques passées dans les enquêtes des disciplines de sciences sociales semble mettre fin au privilège de l'historien. Ensuite, la ligne rouge qui sépare le passé du présent s'est rapprochée de nous jusqu'à se confondre avec « l'histoire du temps présent ». À moins de juger cette pratique contraire à la définition de l'histoire comme science du passé, il convient d'admettre que le passé ne constitue plus le matériau même de l'histoire.

En vérité, l'histoire se constitue comme une réflexion et un récit du rapport au temps des sociétés, à tel point que l'opération d'écriture de l'histoire est elle-même conditionnée par les rapports entretenus par les sociétés avec le temps, ce qu'il est convenu d'appeler leur régime d'historicité (Reinhart Koselleck, François Hartog). L'histoire s'accomplit, de la sorte, comme historiographie : elle est d'abord une écriture de l'histoire. Pour les Anciens, le constat relevait de l'évidence et les anthologies de la littérature grecque et romaine ont toujours associé les historiens avec les écrivains et les poètes qui faisaient figure de modèle. L'histoire ne s'inscrivait pas dans le registre de la persuasion, à la différence des usages tribuniciens et judiciaires de la rhétorique, mais dans le registre épidictique (discours démonstratif de l'éloge ou du blâme), celui de la célébration des héros.

Seul le triomphe du modèle cognitif des sciences de la nature, au cours du xixe siècle, a progressivement bouleversé le paysage de l'histoire savante. La quête de la scientificité est alors présentée comme une traduction de la méthode expérimentale ; plus tard, tout au long du xxe siècle, l'adoption des modèles quantitatifs incorporés par l'économie et la sociologie, ou l'imitation des paradigmes qui, de la linguistique à l'anthropologie, ont affecté les sciences humaines, ont amplifié l'oubli de l'écriture. Un retournement, à partir de la fin des années 1960, a reconsidéré celle-ci comme phase capitale de l'opération historiographique. De part et d'autre de l'Atlantique, les historiens ont mis en exergue le caractère essentiel des figures de style, de l'usage des temps dans la mise en forme de l'argumentaire et du récit historique. Sans doute parce qu'elle est la moins formalisée des sciences humaines et parce que son lexique repose essentiellement sur des notions « indigènes », formulées par les acteurs, l'histoire a accepté cette redécouverte.[...]

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Écrit par

  • : professeur des Universités en histoire contemporaine, Institut d'études politiques, université de Lille-II

Classification

Pour citer cet article

Olivier LÉVY-DUMOULIN. HISTOIRE (Histoire et historiens) - Vue d'ensemble [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • HISTOIRE (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 3 161 mots

    Tandis que la physique étudie le monde sensible ou la chimie la transformation de la matière, l’histoire (mot issu d’un vocable grec signifiant « enquête ») étudie... l’histoire. La plupart des langues européennes désignent également par un même mot l’étude et l’objet de l’étude. Est-ce là une imperfection...

  • LE RÔLE SOCIAL DE L'HISTORIEN (O. Dumoulin)

    • Écrit par Bertrand MÜLLER
    • 995 mots

    Au cours de ces dernières décennies, les scènes d'intervention de l'historien se sont multipliées. Sans changer apparemment de costume, l'historien joue de nouveaux rôles : désormais requis comme témoin ou expert sur des scènes sociales – tribunaux, médias, commissions, etc. –, qui ne sont pas a priori...

  • À DISTANCE. NEUF ESSAIS SUR LE POINT DE VUE EN HISTOIRE (C. Ginzburg) - Fiche de lecture

    • Écrit par François-René MARTIN
    • 1 032 mots

    À distance. C'est sous ce titre que l'édition française de l'ouvrage de Carlo Ginzburg rassemble les neuf essais qui le composent (Gallimard, Paris, 2001). Le livre est traduit trois ans après sa publication en italien chez Giangiacomo Feltrinelli Edition sous le titre d'Occhiacci...

  • L'ÂGE DES EXTRÊMES. HISTOIRE DU COURT XXe SIÈCLE (E. Hobsbawm)

    • Écrit par Marc FERRO
    • 805 mots

    L'Âge des extrêmes (Complexe-Le Monde diplomatique, 1999) constitue le quatrième et dernier tome d'un ensemble d'ouvrages qui ont analysé le destin des sociétés depuis la fin du xviiie siècle. Le premier tome, L'Ère des révolutions, traite de la transformation du monde...

  • AGERON CHARLES-ROBERT (1923-2008)

    • Écrit par Benjamin STORA
    • 776 mots

    Historien de l'Algérie contemporaine, Charles-Robert Ageron est né le 6 novembre 1923 à Lyon. Il était issu d'une famille de petits patrons d'atelier. Son père dirigeait une modeste entreprise de mécanique. Bachelier en 1941, il s'inscrit à la faculté des lettres de Lyon où l'un de ses professeurs...

  • AGNOTOLOGIE

    • Écrit par Mathias GIREL
    • 4 992 mots
    • 2 médias

    Le terme « agnotologie » a été introduit par l’historien des sciences Robert N. Proctor (université de Stanford) pour désigner l’étude de l’ignorance et, au-delà de ce sens général, la « production culturelle de l’ignorance ». Si son usage académique semble assez circonscrit à la ...

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Voir aussi