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CERTEAU MICHEL DE (1925-1986)

Michel de Certeau avait un goût profond de l'ailleurs qui était un désir de cerner et d'analyser le présent. Il lui fallait sans cesse parcourir d'autres lieux, livres ou pays, pour dire où nous sommes et qui nous sommes, et nommer l'étranger qui nous hante. « L'historien parcourt les bords de son présent », écrivait-il. Chez lui, le goût de l'autre coïncide avec la recherche de l'intelligibilité ; l'intérêt pour l'événement est identique au mouvement même de la pensée. « C'est l'altérité [ce qui arrive d'autre] qui crée la césure grâce à laquelle peut s'instaurer une compréhension différente » (L'Absent de l'histoire, 1973).

Une quête de l'autre

Michel de Certeau a traversé la plupart des champs d'investigation des sciences sociales. On ne peut donc donner ici qu'une image tronquée de son activité multiforme, qui, surtout à partir de 1967, s'est déployée dans de multiples séminaires, contrats de recherche, colloques, réunions de travail, aussi bien en Europe qu'aux États-Unis et en Amérique latine. Michel de Certeau appartint à l'École freudienne de Paris, depuis sa fondation en 1964 par Jacques Lacan jusqu'à sa dissolution en 1980. Il enseigna à l'université de Paris-VIII-Vincennes de 1968 à 1971 dans les U.E.R. de psychanalyse et d'histoire, puis à l'université de Paris-VII-Jussieu dans l'U.E.R. d'anthropologie et sciences des religions, où il dirigea, de 1971 à 1978, un séminaire d'anthropologie culturelle. Professeur titulaire à l'université de Californie à San Diego de 1978 à 1984, il fut nommé, en 1984, directeur d'études à 1'École des hautes études en sciences sociales, où il s'était donné pour programme « L'anthropologie historique des croyances, xviie-xviiie siècle ». De 1964 à 1977, il avait aussi dirigé un séminaire de doctorat à l'Institut catholique de Paris. Jésuite, Michel de Certeau n'a jamais caché cette appartenance ; il refusait simplement que cet attachement intime puisse se surimposer dans le champ des débats intellectuels comme un mode de classement. Son œuvre publiée comporte dix-sept ouvrages et plus de quatre cents articles.

L'autre, l'altérité en constituent les termes clés : la coupure que l'autre introduit dans le même a pour effet une nouvelle organisation de l'intelligibilité. Là est le cœur de la méthode. Proche ou lointaine, la coupure créatrice de nouvelles dimensions du pensable surgit toujours dans cette lumière de la surprise et de l'émerveillement dont lui-même faisait hommage à Michel Foucault. Tel est le secret du passeur : « Penser, c'est passer ; c'est interroger cet ordre, s'étonner qu'il soit là, se demander ce qui l'a rendu possible » (« Le Rire de Michel Foucault » in Le Débat no 41). L'autre, en surgissant, nous illumine d'un éclair nouveau. Mais c'est toujours, d'abord, un éclair d'en dessous, un éclair de nuit qui bouleverse, déplace et défait avant de remodeler autrement le savoir, la pensée et les actes. Ainsi, de Mai-68 à la possession de Loudun, se tracent des chemins qui sont ceux d'un même type de surgissement, d'une même surprise et d'un même accueil. « Que le nocturne débouche brutalement au grand jour, le fait surprend chaque fois. Il révèle pourtant une existence d'en dessous, une résistance interne jamais réduite » (La Possession de Loudun, 1970). Le projet fondamental de Michel de Certeau aura sans doute été de penser le symbolique à partir du diabolique, d'en élucider les mouvements et les traces à partir d'une attention permanente aux « irruptions nocturnes » auxquelles l'histoire finit par donner raison. Il faut alors, c'est la condition d'un tel projet, que s'élabore de[...]

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Écrit par

  • : directeur de recherche au C.N.R.S.
  • : philosophe, psychanalyste, ancien élève de l'École normale supérieure

Classification

Pour citer cet article

Dominique JULIA et Claude RABANT. CERTEAU MICHEL DE (1925-1986) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

<it>Urbain Grandier est conduit au supplice</it>, Joseph Nicolas Jouy - crédits : AKG-images

Urbain Grandier est conduit au supplice, Joseph Nicolas Jouy

Autres références

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Voir aussi