GUERRE MONDIALE (PREMIÈRE)
La guerre « patriotique », ainsi pourrait-on qualifier le premier conflit mondial. Que l'on jette, en effet, un regard sur l'histoire proche ou lointaine, et il apparaît que chacune des grandes guerres que l'Occident a connues a été peu ou prou mâtinée de guerre civile : ce qui est clair pour 1939-1945 l'est également pour l'époque de la Révolution et de l'Empire, pour la guerre de Trente Ans et les autres grandes querelles des xvie et xviie siècles.
En 1870, un parti hostile à la guerre franco-allemande a souhaité la défaite française qui entraînerait la chute de Napoléon III. En revanche, en 1914, l'union sacrée a empêché dans toutes les nations en guerre la constitution de ce qu'on appellerait aujourd'hui « un parti de l'étranger ». Certes, les pacifistes, les anarchistes et les socialistes comme Georges Plekhanov et Jean Jaurès ont condamné la guerre impérialiste, mais ils l'ont implicitement approuvée dès lors que des armées étrangères menaçaient ou occupaient le territoire national.
En 1914, chaque peuple s'est cru menacé d'agression. On ignore le défaitisme, du moins au début de la guerre, même en Russie où pourtant l'autocratie tsariste est contestée. Par défaitisme, on entend, entre 1914 et 1918, non le pessimisme décourageant qui affaiblit le moral du pays et le conduit à la défaite, mais le vœu de chacun, exprimé ou non, que son propre pays soit battu, et ceci pour le salut de ce dernier.
Si en France et en Italie des groupes catholiques, très restreints il est vrai, souhaitent la défaite de leur pays pour que le châtiment de Dieu s'abatte sur une nation qui a persécuté l'Église quelques années auparavant lors de la loi de Séparation ; si certains socialistes extrémistes voient avec terreur l'éventualité d'une victoire de Nicolas II qui empêcherait pour longtemps toute révolution prolétarienne, ces défaitistes-là veulent en fait, pour les nations vaincues, non pas tant la ruine que le salut spirituel ou, comme en Russie, le mieux-être ; mais l'énorme majorité des peuples ne suit guère ces idéologies idéalistes du pire pour le meilleur. Bouter l'ennemi hors du territoire occupé ou agressé constitue un impératif instinctif et qui ne se discute pas. Lénine, ne pouvant s'opposer au courant, propose la transformation de la guerre européenne en guerre civile.
Chacun a conscience de combattre pro patria et pro domo, pour sa patrie et pour sa maison. L'idée d'ennemi héréditaire redevient à la mode pour tous les peuples. Les Français regardent la « ligne bleue des Vosges » et l'Alsace-Lorraine perdue en 1870. Les Allemands veulent imposer pour toujours, à la France et à la Russie, l'hégémonie de l'ancienne Prusse. Les Russes, à l'est comme à l'ouest, évoquent les grands souvenirs historiques, l'encerclement par les Teutoniques et les Tatars. Les Italiens, qui abandonneront vite leur neutralité, se souviennent de l'occupant autrichien qu'ils ont chassé au xixe siècle, et les Turcs n'oublient pas que les Slaves ont toujours constitué pour eux une menace.
Dans tous les pays, les maîtres d'école avaient enseigné ces vérités qui alimentent l'esprit patriotique. De plus, devenus adultes, les jeunes lisent dans les journaux que leur pays est entouré d'ennemis qui en veulent à sa prospérité, à sa sécurité, à son existence même. Ainsi, l'enseignement de l'histoire, les campagnes de presse, les manifestations sportives même stimulent ce patriotisme, bientôt transformé en nationalisme. Des sentiments belliqueux apparaissent chez des gens qui, par ailleurs, étaient pacifiques et qui étaient même portés à juger que seule la politique de leurs dirigeants était susceptible de provoquer une guerre. Il en va ainsi des leaders du mouvement socialiste international, chantres du pacifisme,[...]
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Écrit par
- Marc FERRO : docteur en histoire, docteur ès lettres, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, codirecteur des Annales
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